L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Moderne  

Les Ministres de la Guerre. 1570-1792 - Histoire et dictionnaire biographique
de Thierry Sarmant et Collectif
Belin 2007 /  60 €- 393  ffr. / 653 pages
ISBN : 978-2-7011-4505-1
FORMAT : 16,0cm x 24,0cm

L'auteur du compte rendu : Archiviste paléographe, Rémi Mathis est conservateur stagiaire des bibliothèques, en formation à l’ENSSIB. Il prépare une thèse de doctorat sur Simon Arnauld de Pomponne à l’Université de Paris-Sorbonne, sous la direction de L. Bély.

Thierry Sarmant collabore à Parutions.com.


Les suppôts de Mars

Encore qu’elles n’y soient pas réductibles, les relations entre souverains sont longtemps passées par des conflits armés. La guerre a eu une telle importance dans l’histoire de France que l’on a pu parler du roi Très-Chrétien comme d'un «roi de guerre». La guerre est ainsi largement à l’origine de la formation de l’État moderne. Les besoins de défense entraînent dès le Moyen Âge l’entretien d’une armée permanente, d’où d’importants besoins d’argent qui ne peut être trouvé que par l’instauration d’un impôt permanent et d’une administration chargée de gérer ces fonds. Ce n’est pourtant qu’au XVIe siècle que cet état de fait trouve son expression dans les institutions. C’est alors que certains secrétaires du roi se trouvent chargés de la rédaction d’actes en relation avec une thématique précise, et sont peu à peu amenés à avoir un rôle de décision et non plus seulement d’écriture, passant de la forme au fond, et acquérant un poids grandissant avec l’effacement des grands officiers de la couronne. Ce sont d’abord des officiers qui obtiennent ces charges, constituant parfois de véritables dynasties (Le Tellier, Louvois puis Barbezieux maintiennent le département dans la famille Le Tellier pendant 58 ans). Au XVIIIe siècle, la fonction ne se ressent plus de ses origines et est suffisamment prestigieuse pour que des ducs et pairs ou des rejetons de grande et ancienne noblesse acceptent ce poste.

L’histoire de cette fonction nous est proposée à travers les notices biographiques des trente-neuf ministres et secrétaires d'État qui se sont succédé jusqu’à la Révolution : ce sont donc deux siècles d’histoire de France qui sont analysés, sous le prisme de la guerre et de l’organisation de l’État royal. Chacune de ces notices est structurée de la même manière, à la manière d’une prosopographie, ce qui permet de fécondes comparaisons. Une chronologie et une généalogie permettent d’embrasser d’un coup d’œil l’ensemble de la vie de la personne concernée. Dans une troisième partie, un retour est effectué sur la carrière menée avant l’accession au ministère. L’action du ministre au département de la Guerre est bien sûr particulièrement mise en valeur (4e partie), bien que l’éventuelle période qui suit le ministère, la vie privée et la fortune du ministre ne soient pas délaissées (5e partie). Enfin, soyons reconnaissant aux auteurs, qui ont prévu une sixième partie consacrée à une bibliographie très complète du sujet et aux sources d’archives disponibles.

C’est une équipe de jeunes historiens, sous la direction de Thierry Sarmant, ancien conservateur en chef du patrimoine au Service historique de la Défense, qui s’est colletée aux archives de la Guerre conservées au château de Vincennes – et à bien d’autres fonds – et à la bibliographie la plus actuelle afin de dessiner de la plume la plus précise possible ces trente-neuf portraits, dont certains sont tracés pour la première fois (comme Barbezieux (1691-1701) ou Baüyn d’Angervilliers (1728-1740)). Les sources sont bien sûr d’inégales importance et d’intérêt divers selon les époques. Ce n’est qu’au fil des ans que les archives sont systématiquement recueillies, que du personnel est particulièrement chargé de ce dépôt et que les papiers personnels de certaines personnes viennent s’ajouter à ceux de la pratique.

Cet ouvrage vient pertinemment faire le pendant du Dictionnaire des ministres des Affaires étrangères de 1589 à 2004 (Fayard, 2005), publié à l’initiative du ministre d’alors, Dominique de Villepin, et du Dictionnaire des surintendants et des contrôleurs généraux des finances (Comité pour l’histoire économique et financière, 2000). Il ne sert toutefois pas uniquement à mettre en valeur la glorieuse histoire d’un département ministériel. Il est une contribution à une histoire de l’État qui se veut au carrefour des histoires politiques, sociales et culturelles. Le développement de cette branche historique passe par la connaissance des personnels administratifs responsables des divers rouages, pour comprendre le rôle de chacun dans la prise de décision et l’application de cette dernière. D’où l’intérêt de la prosopographie, à la fois comme base de connaissance pour ces recherches et dans une approche comparatiste. Au fil des notices, on voit ainsi l’administration de la Guerre se structurer : en 1759, le roi décide même de construire des bâtiments spécialement conçus pour accueillir des bureaux de plus en plus peuplés, comme le montre le chapitre d’Emmanuel Pénicaut consacré à l’histoire de ce bâtiment (pp.139-151). Car les notices biographiques ne sont pas données de manière brute mais sont précédées de plusieurs chapitres permettant de remettre les biographies dans leur contexte historique et historiographique tout en donnant une véritable histoire du département de la Guerre, en relation avec l’histoire de l’État (pp.9-155).

Par la masse d’information qu’il fournit et la rigueur de ces sources, cet ouvrage demeurera longtemps un usuel de grande utilité. Mais, au-delà, il s’insère dans un programme qui s’annonce des plus féconds et ouvre la voie à bien des recherches. La première – dans le domaine de l’histoire contemporaine – sera la publication de la suite du présent livre, concernant les ministres chargés de la Guerre, de 1792 à nos jours.

Rémi Mathis
( Mis en ligne le 20/12/2007 )
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