L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Général du contingent - En Algérie 1960-1962
de Charles Ailleret
Grasset 1998 /  21.22 €- 138.99  ffr. / 392 pages
ISBN : 2-246-57031-X

Préface de Jean Daniel

L'armée en Algérie : entre doutes et devoirs

Ce récit autobiographique du général Ailleret est une véritable surprise. Plus de trente ans après la disparition de son auteur et de son héros, cette "page d'histoire retrouvée" permet une nouvelle lecture de la guerre d'Algérie. L'on peut cependant regretter de ne rien savoir des circonstances qui ont porté ce témoignage jusqu'à nous.

Quelques jours après le succès de la première bombe atomique française, les opérations "Gerboise bleue" et "Gerboise blanche", le général Ailleret, qui avoue ne pas connaître l'Algérie, reçoit le commandement de la zone Nord Constantinois. Cet officier général qui se sent proche des soldats, le titre de son ouvrage traduit cette assurance, obtient ainsi un commandement qu'il avait appelé de ses voeux: il estimait impossible de rester à l'écart "d'une guerre pour laquelle le pays envoyait systématiquement tous ses jeunes faire trente mois de service en Algérie".

Cet ouvrage suit le fil chronologique des responsabilités du général, successivement commandant la zone Nord-est Constantinois, puis commandant du corps d'armée de Constantine et adjoint à Alger, enfin commandant supérieur des forces en Algérie.
Ses hautes fonctions font de lui un témoin de premier rang ayant exercé une réelle autorité opérationnelle et administrative. Celle-ci aurait-pu être également politique mais, de toute évidence, ce ne fut pas son souhait et il se conforma en cela parfaitement aux prescriptions du général de Gaulle.
Cependant, les événements eux-mêmes vont le contraindre à une forme d'action politique ne serait-ce qu'en assurant une forte opposition légaliste aux putschistes et activistes de toutes sortes.

La seconde partie de ce livre s'étend assez longuement sur cette difficile période marquée par la lutte contre l'O.A.S. Abandonnant alors le déroulement linéaire de son récit, le général Ailleret conclut celui-ci par quelques considérations plus générales dans un chapitre intitulé "problèmes humains et militaires" et par un autre dont le titre "j'ai connu ces activistes" révèle un ton assez surprenant.

En tant que commandant de la zone Nord-est Constantinois sa principale responsabilité fut celle du barrage de la frontière de Tunisie et la construction de la ligne Morice. Ce problème des frontières, et donc de la réalisation des barrages, fut un enjeu très important. Dans la zone d'Ailleret il fallait ainsi empêcher tout contact entre la rébellion intérieure et l'A.L.N. commandée par Boumedienne. Jusqu'à la veille du putsch ce fut sa mission principale avec la poursuite de la pacification.
Cependant il fut immédiatement frappé de l'inefficacité de "cette politique qui avait été depuis plusieurs années activement poussée par les tenants de l'action psychologique et les théoriciens de la guerre subversive et rendue officielle par une instruction du général Challe...". Il est ainsi persuadé que la réussite revendiquée par les auteurs de cette nouvelle forme de lutte n'est qu'apparente et que la population soutient en fait majoritairement les fellaghas. Dès le début de son ouvrage il développe d'ailleurs l'idée qu'une minorité agissante de combattants ne peut poursuivre son action que si elle a le soutien clandestin, mais réel, de la grande majorité de la population.

Enfin survient le putsch de ceux qu'il appelle les "ex-généraux à la retraite". Les passages relatifs aux journées d'avril sont tout à fait intéressants. Il nous dépeint un général Gouraud hésitant, si ce n'est acquis au putsch, et relate quelques épisodes pittoresques comme la réception de ses colonels commandants de zone qui viennent lui demander de rester à leur tête, mais sous les ordres de Challe ! Il opère à ce propos une distinction pertinente entre le putsch, entreprise maladroite et vouée à l'échec, et l'insurrection, beaucoup plus diffuse et hétérogène, donc plus dangereuse.

Quoiqu'il en soit, les hésitations de certains et le désarroi des autres, notamment celui du général Gambiez, amènent le gouvernement à choisir Ailleret comme commandant supérieur des forces en Algérie (juin 1961). Son action va alors se porter dans deux axes opposés : l'un contre le F.L.N., afin d'assurer au gouvernement une position militaire dominante, et cela dans un contexte de négociation et de diminution des unités engagées, et l'autre contre le développement de l'activisme.

La guerre est certes gagnée en avril 1961 et le désengagement militaire s'amorce, mais il faut poursuivre la politique de pacification par le développement économique et celui du niveau de vie. Cette dualité des missions sera d'ailleurs source d'une opposition assez forte entre le général Ailleret et le Délégué général Jean Morin qui ne cesse de lui réclamer de plus en plus de militaires aux spécialités d'agronomes, d'ingénieurs, d'hydrauliciens etc.
Le général Ailleret a une analyse un peu surprenante de cette situation en affirmant que ce sont les administrations centrales qui à Paris n'ont pas su s'adapter à la nouvelle politique gouvernementale.
Ainsi la difficulté majeure de cette période est pour lui l'incohérence entre la politique menée et les moyens dont il dispose. D'ailleurs il ne partage pas l'avis du Délégué général en ce qui concerne le rapport des forces qu'il convient d'affecter respectivement à la surveillance et au quadrillage du territoire et d'autre part à la constitution de réserves mécanisées puissantes, le tout dans un contexte de retrait des unités.

L'autre problème d'importance est bien entendu la lutte contre les activistes de l'O.A.S. qu'il perçoit comme un mouvement composite ayant développé son action en quatre phases qu'il nomme ainsi : "les concerts de casseroles", la période des illusions, celle des attentats, puis celle de l'engagement des foules, dont la fusillade de la rue d'Isly est un des funestes moments.

Dans sa lutte contre l'O.A.S. le général Ailleret est plus que jamais "général du contingent". Il s'oppose ainsi à bon nombre d'officiers et aux 5e bureaux dont il juge l'action très négative et consacre de larges passages aux troupes d'élites, parachutistes et légionniaires, et aux principaux chefs activistes eux-mêmes. Personne ne pourra reprocher au général Ailleret une quelconque langue de bois : Salan se droguait probablement, Gardes manquait d'intelligence, celle d'Argoud était surfaite tout comme celle de Zeller. Bref "des gens à courte vue et qui n'ont de sens de
l'honneur que le leur".
Il n'a pas de mots assez durs pour les tenants de l'action psychologique, "cette illusion, n'ayant servie à rien", menée et conçue par des hommes "enfermés dans une vision de la patrie sans rapport avec la réalité". En revanche il minimise l'action des "barbouzes", des amateurs peu sérieux selon lui, et ne dit rien, ou presque rien, de l'action, pourtant controversée, de la Sécurité militaire. L'on peut regretter cette analyse partielle et un peu faible qui ne parvient pas à restituer toute la complexité de cette époque. Mais il eut été alors nécessaire de rentrer dans un champ d'explications plus politiques ce dont le général Ailleret se garde bien.

La bibliographie se rapportant à la guerre d'Algérie est riche d'ouvrages consacrés aux variations de la politique menée par le général de Gaulle, soit sur le thème de l'abandon, soit sur celui d'un cheminement inexorable vers l'indépendance. Le général Ailleret s'étant affranchi de cette double thématique pour nous livrer son témoignage, l'apport singulier de son ouvrage est de montrer la vision du rôle et de la mission d'un officier général qui, comme il le reconnaît lui-même, ne s'était pas "inquiété des aspects politiques des problèmes qui se posaient en Algérie". Ce parti-pris à pour conséquences quelques "pages blanches" qui frustreront le lecteur de certaines analyses attendues lorsque l'on aborde la guerre d'Algérie. Pour autant le général Ailleret ne se départit pas d'une grande liberté de ton et ne dissimule rien de ses opinions et de ses jugements à propos de ceux qui se sont écartés de la ligne de conduite imposée normalement pas leur statut.

Hervé Lemoine
( Mis en ligne le 04/01/1998 )
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