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Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

La Guerre d'Algérie par les documents - Tome II, Les Portes de la guerre, 1946-1954
de Service historique de l'armée de Terre
 38.93 €- 254.99  ffr. / 1023 pages
ISBN : 2863231138

Sous la direction du professeur Jean-Charles Jauffret.

La Guerre par les archives

En 1990, le Service historique de l'armée de Terre publiait le premier tome d'une collection de documents d'archives inédites consacrée à l'histoire de la guerre d'Algérie : La Guerre d'Algérie par les documents.
Cette nouvelle collection, dirigée par le professeur Jean-Charles Jauffret, ambitionne de mettre à la disposition des chercheurs, comme du public le plus large, des documents originaux issus des quelques 5 000 cartons d'archives de la guerre d'Algérie que détient le Service historique de l'armée de Terre, au château de Vincennes.

Elle reprend, dans ses lignes générales, la philosophie développée et mise en oeuvre par Pierre Renouvin, Jean-Baptiste Duroselle puis leurs successeurs lors de la publications, par le Quai d'Orsay, de la série des Documents diplomatiques français (D.D.F.). Mais elle y apporte quelques nuances.
La principale réside dans l'adjonction d'un appareil critique adapté (chronologie, fiches biographiques, bibliographie...) et d'introductions rédactionnelles dues à la plume de Jean-Charles Jauffret. Ces introductions permettent de replacer la guerre d'Algérie dans son contexte historique général, national et international afin d'éviter de la réduire à un affrontement entre Français et Algériens car, comme l'écrit J-C. Jauffret, "dès ses premiers moments, la guerre d'Algérie n'a rien d'un combat en champ clos, mais (elle) s'imbrique, telle une poupée russe, dans un environnement maghrébin, panarabe, et international spécifique".

L'importance et la richesse des fonds d'archives disponibles a ensuite imposé la définition d'une ligne de conduite et d'une méthode de recherche. Pour l'essentiel, il apparaît clairement que Jean-Charles Jauffret a volontairement privilégié les documents émanant de différents services de renseignement français. Il a pour cela obtenu toutes les dérogations nécessaires et pris toutes les précautions indispensables à la protection de la vie privée et de la sécurité des personnes.
Ce faisant il est évident qu'il a été confronté à la question, permanente chez l'historien, de l'objectivité de son travail et de la subjectivité de ses choix. Il y a répondu avec honnêteté et rigueur scientifique en cherchant à s'effacer le plus possible derrière la publication du plus grand nombre possible de documents.

Le tome I, L'avertissement 1943-1946, fort de 550 pages, et de plus de 200 documents, contribua à une mise en perspective et à une meilleure compréhension de la genèse de la guerre d'Algérie, depuis la rédaction du Manifeste du peuple algérien le 10 février 1943 jusqu'à la loi d'amnistie du 9 mars 1946, en passant par les nombreux rapports, quotidiens, généraux ou de synthèse, sur le sanglant avertissement de Sétif le 8 mai 1945. C'est d'ailleurs à cette date du 8 mai 1945 que, pour Jean-Charles Jauffret commence la guerre d'Algérie.
Notons, parmi les nombreux documents consacrés à Sétif, une série de 18 télégrammes envoyés du 8 mai au 14 juin 1945 par le général Henry Martin, qui commandait alors à Alger le 19e corps d'armée, au ministre de la Guerre. Ces télégrammes relatent au jour le jour, parfois heure par heure, l'évolution de la situation dans le Constantinois, ils sont suivis de son important rapport de synthèse sur "L'insurrection et les troubles en Algérie". Remarquons enfin, pour clore ce premier tome, un document extrait du fonds privé du Maréchal Juin, daté du 29 janvier 1946, intitulé "Le Noeud du problème algérien, assimilation ou séparatisme" ?

En dépit des qualités évidentes du premier tome et de l'accueil très favorable qui lui fut réservé des deux côtés de la Méditerranée, il fallut ensuite attendre huit ans pour que le tome II, Les Portes de la guerre, 1946-1954, soit enfin proposé à des lecteurs qui commençaient à douter de sa publication.

Le résultat est fort heureusement à la hauteur de l'attente des chercheurs. Ce second tome, publié à la fin de 1998, couvre une période qui s'étend de mars 1946, à l'issue de la loi d'amnistie des "événements" de mai-juin 1945 jusqu'à la fin du mois de décembre 1954. Il ne compte pas moins de 1023 pages, 450 documents, une série d'annexes présentant les Responsables et hommes politiques algériens (17 entrées), les Responsables civils français (8 entrées) et les Responsables militaires français (12 entrées), 7 cartes, 14 organigrammes, un cahier de 27 photos, un index des noms de personnes, une chronologie et enfin une bibliographie de 209 titres. Les documents présentés sont issus du dépouillement de quelques 150 cartons d'archives, dont plus de la moitié, non communicables aux termes de la loi de 1979 sur les archives, ont fait l'objet d'une dérogation ministérielle.

Dans son architecture générale, ce tome second est organisé chronologiquement en trois livres. Le champ chronologique couvert par chacun de ces livres (8 ans, 1 an, 2 mois) exprime bien, à lui seul, l'accélération de l'histoire d'une guerre d'Algérie qui semblerait inexorablement attirée vers cet oeil du cyclone qu'évoque Jean-Charles Jauffret dans le livre second.

Le Livre premier "L'Algérie et son environnement, mars 1946-septembre 1953" était consacré à l'évolution générale de l'Algérie et de l'armée en Algérie. Evolution qui s'inscrit sur une toile de fond où l'on retrouve, parfois pêle-mêle, la guerre froide, l'OTAN, les ambiguïtés des attitudes anglo-saxonnes, le panarabisme,...otons ici une série d'une soixantaine de documents (pp. 117-230) sur "Des occasions manquées ?" principalement constituée de comptes-rendus, de bulletins et de synthèses émanant des différents services de renseignement, ainsi que comptes-rendus du 5e Bureau, chargé de l'action et de la guerre psychologiques.

Le Livre second "L'oil du cyclone, octobre 1953-octobre 1954" s'intéresse, en deux volets successifs, à la "quête du renseignement" puis à l'évolution de la présence militaire en Algérie alors qu'en Indochine le Corps expéditionnaire français d'Orient (CEFEO) vit des heures tragiques dans une indifférence métropolitaine qui pèsera lourd quelques années plus tard sur les choix de certains officiers.

Dans son premier volet, Jean-Charles Jauffret met l'accent, sur les documents émanant des différents services de renseignement français. Cela lui permet de mettre en évidence ce qu'il appelle le "cloisonnement des services de renseignement" mais aussi la qualité du travail réalisés par le Service des Liaisons Nord-Africaines dirigé par le colonel Schoen.
Ce volet se termine, de façon significative, par une note de renseignement rédigée par la gendarmerie de Constantine le 27 octobre 1954. Elle relate les conditions dans lesquelles un attentat a été commis, deux semaines auparavant, contre le Caïd Abderrahman Bediar. L'attentat, qualifié d'incident "semble plutôt marquer le début d'une action directe à mobile religieux et "patriotique", perpétrée par des Algériens révolutionnaires"...

Le second volet dépeint un présence militaire française polymorphique et paradoxale. Les grandes manoeuvres d'Oujda-Nemours de mars 1954, censées "avoir eu un effet salutaire sur le moral de la population" (capitaine Brosse, 29 mars 1954, 1H 3400) étudient, entre autres, les conditions d'emploi de l'armement nucléaire (général Calliès, 28 mai 1954, 1H 1806), tandis que le retour des prisonniers libérés des camps du Viêt-minh exprime, à mots couverts, les inquiétudes des autorités militaires confrontées à la "mauvaise graine qui a été semée dans leurs esprits" (général Pardes, 30 décembre 1954, 1H 3398).

Le Livre troisième, enfin, "L'insurrection, novembre-décembre 1954", est à lui seul une introduction à tous les livres suivants dont la préparation puis l'édition sont dès à présent attendues ! Il propose, en deux moments distincts, une perception de "l'insurrection" vue et vécue depuis Paris et à Alger, puis un état des forces en présence et un premier bilan des opérations, à la fin de 1954.

C'est tout d'abord à une véritable plongée stratigraphique dans l'appareil décisionnel français au cours des deux derniers mois de 1954, depuis les hautes instances de la Défense nationale à Paris, jusqu'à l'emploi des troupes "sur le terrain" en Algérie que procède l'auteur en quelques 400 pages. Que sait-on, que pense-t-on et quelles décisions sont éventuellement envisagées, proposées ou prises par le Conseil supérieur de la Guerre, le cabinet du ministre de la Défense nationale, l'état-major de l'Armée et ses différents bureaux, le gouvernement général d'Alger... Autant de questions pour lesquelles Jean-Charles Jauffret nous présente des documents inédits qui expriment, en cette fin d'année 1954, les premières réactions comme les difficultés d'appréciation, à leur juste mesure d'événements qui prennent souvent au dépourvu les autorités françaises et les acteurs eux-mêmes !

Quant au premier bilan, il est bien sûr d'abord quantitatif, nombre d'amis et de rebelles tués, blessés, disparus ou prisonniers, armes perdues et récupérées. Il pose alors d'emblée la difficile question du dénombrement et de la qualification des effectifs engagés et des pertes, de part et d'autres. Mais il devient bientôt aussi moral lorsque les premiers rapports du même nom évoquent chez les officiers le sentiment, voire la souffrance de "constater qu'ils sont les seuls à supporter les charges et consentir les sacrifices imposés par une Politique qui devrait logiquement être soutenue par la Nation toute entière" (chef de bataillon Ducruc, 1er RCP, 21 décembre 1954, 7U 726).

En définitive, ces deux premiers tomes de la Guerre d'Algérie par les documents n'apportent aucune révélation sensationnelle, mais ils s'efforcent plus modestement de participer à l'écriture de la Guerre d'Algérie en essayant d'appliquer les deux lois de l'histoire définie par Cicéron, "ne rien dire de faux, oser dire ce qui est vrai" !

Frédéric Guelton
( Mis en ligne le 13/08/2001 )
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