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Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Théorie du Combat
de Carl von Clausewitz
Economica - Bibliothèque stratégique 1998 /  14.96 €- 97.99  ffr. / 106 pages
ISBN : 2-7178-3736-1

Théorie du combat : une oeuvre clausewitzienne inédite

Il a fallu attendre la fin du XXe siècle pour avoir une première traduction en français de la Théorie du combat. Cette oeuvre, qui est l'embryon d'un traité de tactique que Clausewitz n'a pas eu le temps d'écrire, est riche d'enseignements pour mettre en lumière la méthode de pensée du général prussien. Thomas Lindemann, traducteur de ce texte, nous rend compte de la richesse de cette oeuvre enfin révélée.

Tout le monde connaît le traité de Clausewitz De la guerre mais on sait moins qu'il ne s'agit que du premier volet d'un triptyque qui aurait dû comprendre un traité sur la Guérilla et un autre sur la Tactique, dont la Théorie du combat constitue un fragment.

L'origine de l'étude est inconnue. En revanche, il semble acquis que l'étude sur la Tactique publiée en français sous le titre Théorie du combat, était conçue comme un travail préparatoire d'un grand traité. En consultant la table de matières, on s'aperçoit que Clausewitz a seulement pu développer une partie de son projet à savoir le chapitre II sur la Théorie générale du combat.

L'étude de la Tactique est divisée en 8 chapitres. Les sept premiers chapitres (1-219) traitent des notions fondamentales et des types du combat tandis que le huitième (õ 220a-604) est d'une finalité davantage "pratique" en indiquant comment les forces doivent être conduites et employées dans le combat. Le premier chapitre, "La nature du combat" analyse le rôle des forces morales. Le deuxième, "La décomposition du combat en combats individuels" démontre comment les différents membres du combat parviennent à conserver une certaine autonomie. Le troisième et le quatrième chapitre, "La finalité du combat" et "Les causes de la victoire" énumèrent les finalités du combat et les conditions qui conduisent l'adversaire à capituler. Les chapitres 5, 6 et 7 distinguent le combat selon le type d'arme (le combat corps à corps et le combat à feu), le stade du combat (l'acte destructeur, l'acte décisif), et la finalité positive ou négative du combat (attaque et défense). Le dernier chapitre, "Le plan du combat" analyse surtout les conditions favorables à l'emploi successif et simultané des forces (291-449).

L'analyse des forces morales occupe une place importante dans l'étude de la tactique (30 - 45, õ 564 - 604). Il rappelle que "l'instinct de l'attaque et de l'anéantissement" est l'élément le plus caractéristique de la guerre (31). Pour Clausewitz, le combat ne relève jamais du pur calcul car le sentiment de haine s'enflamme au plus tard pendant le combat. Il en résulte deux conséquences majeures. Tout d'abord le combat ne peut pas être uniquement l'objet d'un calcul mathématique car les forces morales sont difficilement quantifiables. Ensuite il s'agit d'exploiter au mieux ces forces morales dans la conduite de la guerre car elles décident en dernière instance de la victoire (14).

Le chapitre sur "La décomposition du combat en combats individuels" (97-114) illustre également les limites d'une conception purement mécanique du combat. Clausewitz y démontre l'impossibilité de diriger les grandes unités par simple commandement ou selon un plan rigide. L'imprévisibilité d'un combat tient aussi bien à l'imperfection humaine qu'aux facteurs matériels - l'irrégularité du terrain (103). Plus le combat dure et plus le hasard et des incidents inconnus se produisent (104).

La dimension "politique" du combat est en revanche peu développée (1, 227-237, 267-281), mais Clausewitz y distingue déjà comme finalité du combat, la destruction des forces ennemies, la possession d'une position et l'honneur des armes (1). Il y semble même préconiser une stratégie d'usure lorsqu'il remarque que la prolongation du combat présente plus d'intérêt pour le défenseur (423). Il admet également que la destruction des forces adverses peut occuper une place subordonnée dans la tactique (230) et qu'elle peut davantage concerner les forces morales que les forces physiques.

Un autre point intéressant de l'étude est la distinction entre le combat au corps à corps et le combat à feu (õ 46-219). Clausewitz est déjà très conscient de la puissance de feu. Il insiste sur le fait que le combat se divise généralement en deux actes distincts à savoir l'acte de décision et l'acte de destruction et condamne l'absurdité qui conduit à lancer une attaque sans préparation suffisante par l'emploi des armes à feu.

Clausewitz est sans doute le plus célèbre des théoriciens militaires à avoir favorisé la défense. Dans l'étude sur la tactique, la supériorité de la défense est d'abord fondée sur son ambition plus modeste (74).
Or la tâche d'acquérir et de détruire est plus difficile que celle de préserver. En revanche, l'avantage de l'attaquant provient de l'effet de surprise qui résulte du fait qu'il peut "jouer en deuxième" car il connaît les préparatifs de la défense (508-563). Cependant il pense que l'avantage de la défense bénéficiant de la connaissance de terrain est tellement important qu'il surpasse celui de l'attaque. Il insiste à plusieurs reprises sur le fait que la défense ne peut pas être purement passive (75, 259-263). Clausewitz ne nourrit pas l'illusion qu'une défense absolue est possible.

Une grande partie de l'étude sur la tactique est consacrée aux avantages respectifs de l'emploi simultané et successif des forces. Etroitement lié à cet emploi est l'enveloppement et l'ordre profond. Clausewitz préconise pour le défenseur un ordre profond tandis que la tentative de l'enveloppement est naturel pour l'attaquant. Les inconvénients inhérents à un front étendu du défenseur méritent d'être cités. Selon Clausewitz, un front étendu du défenseur risque de succomber plus facilement à l'effet de surprise de l'attaquant car il est plus difficile de secourir le point attaqué lorsque le front est étendu.

L'ordre étendu du défenseur a aussi l'inconvénient d'augmenter l'intensité de l'acte destructeur. En revanche l'ordre profond diminue l'acte destructeur et permet de gagner du temps, ce qui est dans l'intérêt du défenseur. En examinant les batailles passées on ne peut que constater le bien-fondé de l'analyse clausewitzienne.

En somme, l'étude clausewitzienne de la tactique, loin d'être démodée, comporte de nombreux concepts qui restent tout à fait valables. Si le caractère abstrait de l'étude qui expose en quelque sorte les principes "éternels" de la tactique, analogue aux grands traités de Kant ou de Rawls sur la morale, risque parfois de dérouter, il a néanmoins l'avantage de stimuler la réflexion du lecteur et l'incite à rendre les concepts "vivants" en méditant sous un nouvel angle les batailles passées et futures.

Thomas Lindemann
( Mis en ligne le 13/12/1998 )
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