L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Les Royalistes et Napoléon - 1799-1816
de Jean-Paul Bertaud
Flammarion - Au fil de l'histoire 2009 /  25 €- 163.75  ffr. / 463 pages
ISBN : 978-2-08-120478-2
FORMAT : 15cm x 24cm

L'auteur du compte rendu : Natalie Petiteau est professeur d'histoire contemporaine à l'Université d'Avignon.

L'Empereur et le roi

Grand spécialiste de la période révolutionnaire et napoléonienne, Jean-Paul Bertaud livre ici une synthèse précise et détaillée sur un sujet de grande importance pour les années 1799-1815 : il s’agit en effet de comprendre la présence, à découvert et plus souvent dans le secret, des royalistes dans la vie politique de ces années-là, il s’agit de mesurer le poids des remises en question et des dangers qu’ils ont fait peser sur le régime de Napoléon.

Pour ce faire, Jean-Paul Bertaud part d’un nécessaire examen de l’action royaliste en 1799, des réseaux constitués entre la France, la Grande-Bretagne et les autres puissances. Il s’agit au-delà de mesurer les chances que la contre-révolution peut avoir alors de triompher. L’un des grands intérêts de ce chapitre d’ouverture est de souligner d’emblée combien les dissensions internes minent le mouvement royaliste qui apparaît, certes, doté de forces non négligeables, mais qui se révèle également extrêmement composite. Reste que, la tension est redevenue telle dans l’Ouest en 1799 que l’on parle d’une «troisième guerre de Vendée», dont Jean-Paul Bertaud rend compte avec une grande clarté. Mais tandis que cette guerre couve, il appartient au prétendant comme à ses conseillers de veiller à justifier la pérennité du principe monarchique, de veiller ne serait-ce qu’à ne pas laisser Louis XVIII tomber dans l’oubli, de veiller à préserver le fonctionnement d’une cour de substitution, avec les pratiques symboliques qui assurent aux membres de la famille royale leur rang et leur dignité. Mais cette cour est restreinte, très isolée finalement, et le mariage du duc d’Angoulême avec Madame Royale en dit long sur un repli obligé. Repli dans lequel les Bourbons exilés peuvent tout à loisir lire les théoriciens qui dénoncent la Révolution et qui soutiennent le principe monarchique, de l’abbé Barruel à Joseph de Maistre, et s’enfermer, sur ce plan aussi, dans une lecture souvent erronée de la Révolution, pour ne rien oublier ni rien apprendre. On lit avec intérêt les pages au long desquelles Jean-Paul Bertaud montre soigneusement la façon dont le fossé se creuse entre les royalistes de l’émigration, ceux de Londres notamment, et ceux qui sont dans la lutte armée, sur le sol de France. Les dissensions du royalisme d’après 1815 se forgent dès ces années-là.

Dénonçant avec vigueur, et erreurs le plus souvent, la politique et la société du Directoire, le monde royaliste observe avec intérêt la prise du pouvoir par Bonaparte en se demandant immédiatement comment tirer profit de la chute du régime directorial. Pour beaucoup, il semble que Bonaparte soit celui qui va permettre à Louis XVIII de remonter sur son trône, pour beaucoup, Bonaparte ne peut que se rallier à Louis XVIII et restaurer la légitimité de son pouvoir. Les analyses de Jean-Paul Bertaud sont toujours agréablement étayées par l’exemple de parcours personnels et l’on retiendra tout particulièrement les pages sur Hyde de Neuville qui, comme bien d’autres royalistes, s’est trompé en espérant que Bonaparte travaillerait au profit des Bourbons. Si le premier consul rétablit la paix en Vendée, et là encore la synthèse de l’auteur est parfaitement documentée, c’est dans le but de créer les conditions nécessaires pour clore définitivement la Révolution, sans pour autant rétablir l’Ancien Régime. Et en rétablissant par ailleurs la paix religieuse par le Concordat, Bonaparte prive les royalistes d’un argument majeur. Ils ne peuvent plus avoir d’illusions sur ses projets après la répression des successifs complots, ceux de Cadoudal et Pichegru notamment, mais aussi des frères Polignac. En prenant bien peu de temps pour juger le duc d’Enghien, soupçonné d’être ce prince français dont les royalistes attendaient la venue sur le territoire pour organiser une restauration, Bonaparte vise plus encore à se poser en incarnation de la Révolution française, qu’à exécuter un réel et dangereux coupable, ce que Jean-Paul Bertaud avait déjà plus longuement démontré dans sa biographie définitive sur le duc d’Enghien. Dans le duel des deux France engagé depuis 1789, la mort du duc d’Enghien est une étape essentielle. En 1804, tout semble fini pour les royalistes, d’autant que les ralliements des nobles à l’Empire ne cessent de se multiplier jusqu’en 1810.

Pourtant, les royalistes les plus convaincus, tel La Haye Saint-Hilaire, ou Armand Le Chevalier, persistent dans la pratique du complot, soit en tentant de préparer de nouvelles insurrections, soit en s’en prenant à des individualités dont la position symbolise des ralliements que les royalistes déplorent, parmi les ecclésiastiques notamment. L’évêque de Vannes est ainsi victime d’un rocambolesque enlèvement. La répression systématique conduit néanmoins à faire des martyrs, telle la marquise de Combray ou la baronne de Férolles, ou encore Armand de Chateaubriand. Autant de destins qui permettent aux royalistes de tisser la haine du régime impérial, tandis que, en Bretagne comme en Vendée, les forces de résistance sont presque anéanties.

Mais le régime impérial contient dans son propre mode de fonctionnement les ferments de sa destruction. La haine de la conscription devient un nouveau levier pour l’insurrection. Dès 1809, il apparaît, dans la Sarthe comme en Vendée, que les réfractaires sont dirigés par des chouans. Fouché craint même que le soulèvement des jeunes conscrits fasse partie d’un plan plus vaste consistant en une insurrection générale, bénéficiant par ailleurs des échecs en Espagne. La police découvre que des ramifications de complot ont subsisté. Les royalistes reconstituent des réseaux, pour lesquels ils peuvent de nouveau compter sur l’Eglise : la politique napoléonienne à l’égard de la papauté les sert donc également. Cette fois, les royalistes élaborent, sous la direction du comte Ferdinand de Bertier, une «puissance secrète» très soigneusement pensée en vue d’agglomérer toutes les forces royalistes. C’est un véritable ordre religieux qui est alors organisé, sur le modèle des Congrégations, mais aussi des loges maçonniques : les Chevaliers de la Foi forment un ordre secret, tout à la fois religieux et politique, très soigneusement hiérarchisé et cloisonné. On en retrouve des membres dans le complot du général Malet de 1812, et l’ordre se fait de plus en plus actif. En 1814, ses membres sont aux premiers rangs parmi les distributeurs des tracts au service de la propagande royaliste. Et l’action de Ferdinand de Bertier à Bordeaux est primordiale pour la défense de la cause des Bourbons auprès des alliés et pour obtenir, finalement, la Restauration.

En définitive, Jean-Paul Bertaud montre combien une vie politique du secret et du complot a perduré tout au long de l’Empire et c’est l’un des grands mérites de ce beau livre que de permettre au lecteur de découvrir l’une des faces cachées du régime napoléonien.

Natalie Petiteau
( Mis en ligne le 30/06/2009 )
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