L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Politiques de l'ombre - Etat, renseignement et surveillance en France
de Sébastien Laurent
Fayard 2009 /  32 €- 209.6  ffr. / 700 pages
ISBN : 978-2-213-64315-1
FORMAT : 15,3cm x 23,5cm

L'auteur du compte rendu : Grégory Prémon est agrégé d'histoire-géographie.

Au-delà de la part d’ombre

Alors que la démocratie libérale s’implante en France, se constitue progressivement un «État secret», «défini comme étant la part de l’État soustraite à la publicité». De ce paradoxe, Sébastien Laurent tire une étude magistrale sur le monde obscur du renseignement et de la surveillance en France, de la Restauration à 1914.

Ce monde et, plus largement, la police ont longtemps été les parents pauvres de l’historiographie française. On ne peut aujourd’hui que saluer la publication issue du dossier d’habilitation à diriger des recherches de Sébastien Laurent. Elle s’insère dans la naissance d’une histoire de la police aujourd’hui en plein renouveau, notamment depuis la parution de l’Histoire et du dictionnaire de la police dans la collection Bouquins en 2005.

Cette histoire s’inspire très largement de l’historiographie anglo-saxonne, en pointe dans le domaine des Intelligence Studies. Elle en diffère cependant – et l’étude de Sébastien Laurent en est un bon exemple – par la plus faible place accordée à la politique extérieure de l’État et par l’intérêt plus prononcé porté aux liens étroits qui unissent la construction de l’État et le monde de la police.

«Quels étaient les organes de renseignement dans l’administration civile et militaire ?» Sébastien Laurent montre habilement comment le renseignement est passé des mains des diplomates et des policiers à celles des officiers avant de connaître une bureaucratisation progressive sous la IIIe République. Son étude permet notamment de mieux connaître les origines de la «guerre des polices» et ainsi les luttes entre commissaires et officiers de l’armée.

De ces diplomates, officiers ou policiers, Sébastien Laurent dresse un juste portrait s’appuyant sur des exemples précis, à l’image du commandant Stoffel, attaché militaire à Berlin de 1866 à 1870, espion «officiel» et «actif» au service du renseignement français, ou encore celle de Georges Picquart, célèbre officier dreyfusard que le lecteur retrouvera avec plaisir.

Quelles étaient les méthodes et les manières de travailler de ces hommes ? Sébastien Laurent décortique avec précision les missions confiées à «L’État secret» : intercepter, déchiffrer et espionner. Il porte plus particulièrement son attention sur la section de statistiques, nous montrant son fonctionnement quotidien à travers notamment la recherche du renseignement. Quelle évolution le monde du renseignement a-t-il connue de la Restauration à 1914 ? Trois âges majeurs sont distingués par l’historien, l’âge de la coutume, celui de la bureaucratisation et enfin celui de l’apparition d’un droit spécifique au monde du renseignement.

A partir de cette évolution, Sébastien Laurent mène une réflexion riche sur la construction de nos États contemporains. Comment «l’État secret» trouve-t-il sa place dans un monde avide de publicité ? Quelle influence la construction de la République a-t-elle sur le monde du renseignement ? L’affaire Dreyfus, qui pointe les faiblesses et les dysfonctionnements du monde du renseignement, lui permet de se réorganiser et paradoxalement de trouver sa place au sein de nos sociétés modernes.

Au-delà de la richesse de l’ouvrage, on ne peut que saluer la composition du livre. Le lecteur trouvera une bibliographie abondante. Quant au chercheur, il saura mettre à profit l’utile index qui lui permettra de retrouver avec facilité tel ou tel acteur de ce monde de l’ombre.

Grégory Prémon
( Mis en ligne le 24/11/2009 )
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