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Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Lacordaire et Lamennais (1822-1832) - La route de la Chênaie
de Anne Philibert
Cerf - Histoire religieuse de la France 2009 /  89 €- 582.95  ffr. / 1127 pages
ISBN : 978-2-204-08460-4
FORMAT : 14,5cm x 23,5cm

Préface de Michel Albaric.

L'auteur du compte rendu : Grégory Prémon est agrégé d'histoire-géographie.


Deux catholiques libéraux

«Supprimez Lacordaire et rien d’essentiel ne sera changé dans la vie intérieure de cette glorieuse école» ; tels sont les mots de l’abbé Bremond en 1907 à propos de l’école de Lamennais dans sa biographie de Gerbet, l’un des disciples du célèbre maître. Dès lors, pourquoi consacrer une si imposante thèse – plus de 1000 pages – aux relations entre Lacordaire et Lamennais entre 1822 et 1832 ? C’est là tout l’intérêt du travail d’Anne Philibert que de montrer que les rapports – plus étroits que ceux imaginés – entre les deux hommes ont joué un rôle central tant dans la vie du restaurateur de l’ordre des Dominicains que dans celle du maître – romantique et libéral – de la Chênaie.

Qui sont Félicité de Lamennais et Lacordaire en 1822 ? Né en 1782, Félicité Robert de Lamennais fut ordonné prêtre en 1816. D’abord ultramontain, il défend ses positions dans son Essai sur l’indifférence en matière de religion. Peu à peu, ses idées évoluent, annonçant le catholicisme libéral et le catholicisme social du XIXe siècle. Quant à Lacordaire, il est d’abord beaucoup plus jeune que Lamennais : il est né vingt ans plus tard, en 1802. En 1822, il entre ainsi juste dans l’âge d’homme : étudiant en droit brillant, fortement influencé par le rousseauisme, il quitte la ville de Dijon au début des années 1820 pour rejoindre Paris, où, touché par la Grâce, il se rapproche de nouveau de l’Eglise catholique. Dès lors, quelles vont être les relations entre ce prêtre idéaliste – et qui fait déjà tant parler de lui – qu’est Lamennais et le jeune re-converti Lacordaire ?

Anne Philibert, en s’intéressant à la relation entre les deux hommes, sait avec intelligence et pertinence dépasser et utiliser les travaux antérieurs qui leur ont été consacrés. Pendant longtemps, cette relation fut considérée comme mineure pour l’école mennaisienne. C’est la thèse défendue par l’abbé Brémond : les relations de Lamennais et Lacordaire sont négligées car celui-ci fut à la fois le dernier à rejoindre l’homme de la Chênaie et le premier à le quitter. De même, les biographies de Lacordaire – à l’exception de l’ouvrage de Pierre Baron, La Jeunesse de Lacordaire (Cerf, 1961) - accordent souvent assez peu d’importance à cette période de la vie de l’homme, préférant s’intéresser à l’âge mur de celui qui restaura l’ordre des Dominicains.

Cinq périodes jalonnent la relation entre les deux hommes entre 1822 et 1832. La première – jusqu’en 1827 - s’intéresse à la conversion de Lacordaire et à sa découverte – éblouissante – des idées et des écrits de Lamennais. Second temps : l’échec de Lacordaire à élaborer une synthèse satisfaisante sur les questions religieuses qui le préoccupent et son ralliement définitif aux idées de Lamennais. La révolution de Juillet ouvre une troisième période plus romantique et idéaliste. C’est le temps de l’action commune avec notamment la fondation du journal L’Avenir et de l’Agence générale pour la défense de la liberté religieuse. Le temps des doutes et des hésitations vient ensuite pour les deux hommes avant – cinquième temps –, en 1832, la rupture de Lacordaire avec Lamennais, en raison des oppositions vives entre Lamennais et le Saint-Siège.

Que retenir du travail ambitieux d’Anne Philibert ? D’abord, l’influence importante de Lamennais sur Lacordaire : malgré la rupture entre les deux hommes, ce dernier a adhéré avec force aux idées libérales de l’homme de la Chênaie qui lui a donné les réponses qu’il attendait dans une période – toujours difficile – de reconstruction de sa Foi. Au-delà, le travail de l’historienne nous éclaire sur les débats qui agitent l’Eglise catholique et les sociétés européennes dans la première moitié du XIXe siècle : étudier les relations entre Lacordaire et Lamennais entre 1822 et 1832, c’est pénétrer dans le laboratoire du catholicisme où naissent les idées du siècle - du catholicisme libéral au renouveau de la Foi. Enfin, le travail d’Anne Philibert est une bonne leçon d’histoire, faite de réflexions et d’humilité, l’historienne n’hésitant pas à reconnaître les difficultés de son travail lorsque, par exemple, les archives viennent à manquer pour décrire les relations entre les deux hommes au moment de la Révolution de 1830.

Grégory Prémon
( Mis en ligne le 05/01/2010 )
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