L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

La Guerre après la guerre - Images et construction des imaginaires de guerre dans l'Europe du XXe siècle
de Christian Delporte , Denis Maréchal , Isabelle Veyrat-Masson , Caroline Moine et Collectif
Nouveau monde 2010 /  49 €- 320.95  ffr. / 448 pages
ISBN : 978-2-84736-365-4
FORMAT : 14,5cm x 23,1cm

L’auteur du compte rendu : Éric Alary, Docteur ès Lettres en Histoire de l’IEP de Paris, Agrégé d’histoire, est professeur de khâgne et d’hypokhâgne au lycée Descartes (Tours) ; il est également chercheur associé au Centre d’Histoire de Sciences Po Paris et au CRHISCO/ Université Rennes II ; il est l'auteur, entre autres, de L’Exode. Un drame oublié, Perrin, 2010 ; La Ligne de démarcation, Perrin, 2003 (réédition «Tempus», 2010), (dir.), Les Français au quotidien (1939-1949), Perrin, 2006 («Tempus», 2009).

Des guerres en images qui n’en finissent pas : constructions et reconstructions permanentes

L’histoire au cinéma est un objet désormais bien connu des historiens depuis environ une vingtaine d’années. Chaque période contemporaine a été inondée d’images et de films. Par exemple, la Seconde Guerre mondiale vue à travers les actualités et les films a été décryptée de nombreuses fois par les historiens les plus éminents. La guerre par l’image est pourtant difficile à analyser. Aussi les auteurs de La Guerre après la guerre tentent-ils de comprendre comment les contemporains d’une guerre, mais aussi les générations suivantes, ont pu la percevoir et l’instrumentaliser. Nombre de photographies et d’images de film ont tellement été montrées aux publics de plusieurs générations, que celles-ci semblent résumer trop vite et de façon simpliste une guerre. Une grande quantité d’images se bousculent dans nos têtes sur les deux guerres mondiales, les guerres coloniales et les guerres civiles du XXe siècle grâce à un volume de représentations visuelles qui ne cesse de grossir (presse, cinéma, télévision, peinture, bande dessinée, etc.).

Le fil rouge de l’ouvrage collectif publié chez Nouveau Monde éditions tient dans l’analyse fine et variée des mécanismes qui permettent à des images, après la guerre, d’imprégner les imaginaires collectifs. En somme, comment l’image construit une représentation collective d’un événement guerrier sur le long terme, d’après-guerres plus ou moins long, ce qui pose corrélativement la question du début et de la fin des après-guerres. Le parti pris comparatif, grâce aux études des meilleurs chercheurs français et étrangers sur l’histoire des images et du cinéma, est fort bienvenu et permet de se concentrer sur l’espace européen.

En 4 parties et 26 chapitres – parfois avec des exemples fort originaux et dans tous les cas neufs -, tous les types de guerre sont pris en compte. D’abord dans les deux premières parties («Des images pour exprimer le traumatisme» et «Des images pour reconstruire et commémorer»), sont évoqués la Grande Guerre à travers la bataille de Verdun ainsi que l’après-Grande Guerre envahi par l’esprit patriotique et de revanche, et parcouru de commémorations soigneusement mises en scène ; l’expression du traumatisme guerrier en RDA à travers les images du cinéma et celles des peintres ; la place des femmes dans les cérémonies italiennes du Soldat inconnu ; la place de la Seconde Guerre mondiale dans les actualités cinématographiques italiennes ; la commémoration visuelle du Jour J à travers la presse ; d’autres contributions emmènent le lecteur en Turquie où une réflexion est menée sur les fêtes nationales et la représentation de la guerre de libération dans la presse turque.

La guerre froide entre aussi dans le champ d’étude tout comme la guerre d’Espagne – étudiée dans le cinéma espagnol de la démocratie où la dépolitisation des images est poussée à son comble parfois -, dans une troisième partie intitulée «Guerres passées conjuguées au présent» ; la représentation de la Seconde Guerre mondiale est notamment observée à travers le cinéma d’Andreï Tarkovski. Enfin, la Première Guerre mondiale est encore au centre de l’ultime partie de l’ouvrage, intitulée «Restituer, reconstituer la guerre entre mémoire et histoire» : les historiens s’interrogent sur les façons de montrer la Grande Guerre à la télévision, mais aussi dans les musées d’histoire ; la guerre d’Algérie est l’autre guerre centrale dans cette partie où les questions suivantes sont posées : comment cette guerre a-t-elle été perçue et montrée en France, et notamment la bataille d’Alger, à travers les images télévisuelles ? En fait, la télévision a souvent évité de traiter de cette guerre, quasiment jusqu’aux années 1990 et les films pionniers et audacieux de Patrick Rotman, dont le souci était aussi tourné vers la défense des droits de l’homme, afin de dépasser au mieux une histoire événementielle.

Évidemment, saisir comment les imaginaires collectifs ont pu être nourris d’images sur les guerres passées permet aussi de comprendre mieux son présent. Ainsi la compréhension d’une guerre grâce à l’image peut éclairer celle d’une guerre plus ancienne. Les images d’une guerre peuvent-elles être chassées par celles d’un autre conflit ? Comment les grands médias d’images (télévision et cinéma) influent-ils sur les représentations, ce dans la longue durée ? Les chercheurs s’interrogent aussi beaucoup sur les choix générationnels opérés dans le flot d’images reçues. L’imaginaire collectif et individuel semble sédimenter en partie le visuel, opérant des coupes arbitraires dans les images des guerres européennes, pour le meilleur et parfois pour le pire, afin de comprendre le passé et le présent. Souvent, les images sont détournées ou reconstruites et la difficulté des historiens consiste à décrypter ces trames qu’il faut revoir pour replacer l’événement dans sa vraie dimension historique.

L’ouvrage, remarquablement relié, un bel ouvrage en somme, illustré et doté d’un appareil critique sélectif, est un outil scientifique indispensable, agréable à lire, à qui veut comprendre l’histoire des guerres à travers les images et prendre le recul critique nécessaire face aux images du présent : il est en effet parfois difficile de savoir où commencent la manipulation et la désinformation sur un événement belliqueux.

Eric Alary
( Mis en ligne le 09/03/2010 )
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