L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Mers El Kébir - 3 Juillet 1940 - L'Angleterre rentre en guerre
de François Delpla
François-Xavier de Guibert 2010 /  32 €- 209.6  ffr. / 355 pages
ISBN : 978-2-7554-0385-5
FORMAT : 15,2cm x 23,4cm

L'auteur du compte rendu : Chargé d'enseignement en FLE à l'Université de Liège, Frédéric Saenen a publié plusieurs recueils de poésie et collabore à de nombreuses revues littéraires, tant en Belgique qu'en France (Le Fram,Tsimtsoum, La Presse littéraire, Sitartmag.com, etc.). Depuis mai 2003, il anime avec son ami Frédéric Dufoing la revue de critique littéraire et politique Jibrile.

Nom de code : ''Catapult''

«Le présent livre […] est lui-même un moment de la destinée mouvementée du 3 juillet 1940 dans la mémoire des hommes. [Il] est l’un des rares à faire justice d’un certain nombre de préjugés, et le seul qui les combatte tous ensemble sans prétendre en être exempt lui-même». C’est en ces termes que l’historien François Delpla présente sa vaste enquête sur un tournant dans les relations franco-britanniques mais également dans le cours de la Seconde Guerre mondiale : la canonnade de Mers el-Kébir. L’enjeu de cette agression ? Empêcher que la puissante flotte française ne tombe aux mains d’Hitler suite à l’armistice signé en juin 1940 entre la France et l’Allemagne.

Ce jour-là donc, suite à un ultimatum adressé en matinée par l’amiral anglais Somerville au vice-amiral Gensoul, proposant diverses solutions (notamment le sabordage pur et simple) et arrivant à échéance quelques heures après, les Britanniques déchargent leurs obus sur les navires français pris dans la souricière du petit port algérien. Au-delà de pertes matérielles considérables (le Dunkerque et le Strasbourg y laisseront leur carcasse), ce sont près de 1300 soldats français qui y périront.

Delpla, en fouineur invétéré des sujets qui fâchent, explore chaque échelon décisionnel qui amena à ce terrible événement. Il sonde les motivations et les consciences des politiques (Churchill, Reynaud mais également Hitler) ou des militaires (Darlan). Son travail se nourrit non seulement d’un examen complet de la déjà très copieuse historiographie consacrée à Mers el-Kébir, mais aussi de nombreuses archives inédites.

Une lacune à déplorer peut-être, à savoir que s’il envisage les effets de «l’onde de choc planétaire», notamment aux niveaux géostratégique et diplomatique, Delpla ne dit que peu de chose par rapport au rejaillissement sur l’opinion de ce qui sera dénoncé par la propagande collaborationniste comme un véritable «coup de couteau dans le dos» de la Perfide Albion, à travers des articles et des pamphlets haineux. On pourra aussi reprocher çà et là, dans les premiers chapitres notamment, quelques comparaisons anticipatives à la limite de l’anachronisme, par exemple quand il évoque le ministre des Affaires étrangères de Chamberlain, Halifax, qui «pourrait créer l’illusion, si bien réussie en France au siècle suivant, le temps d’une campagne, par le candidat de la droite à la succession de Jacques Chirac, d’une certaine “rupture”». On avait bien compris, dans d’autres de ses publications, le désamour que l’auteur voue à Nicolas Sarkozy ; était-ce bien la peine d’y revenir ?

L’ouvrage reste cependant, en ce qui concerne le cœur même de son sujet, une somme qui ne sera pas de sitôt égalée dans son art de la nuance et sa finesse d’analyse. L’écriture de Delpla, qui n’hésite pas à recourir à un langage peu fréquent sous la plume d’un spécialiste (très direct, parfois familier) ne doit pas faire écran : nous avons affaire ici à une étude rigoureuse, partant exigeante. Une vraie leçon de critique historique qu’il s’agirait d’appliquer à de nombreux autres faits dont la mémoire reste aujourd’hui encore très douloureuse et sujette à polémique.

Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 24/08/2010 )
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