L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Dans les archives inédites des services secrets - Un siècle d'histoire et d'espionnage français (1870-1989)
de Bruno Fuligni et Collectif
L'Iconoclaste 2010 /  69 €- 451.95  ffr. / 350 pages
ISBN : 978-2-913366-29-9
FORMAT : 27cm x 32,4cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Laurent est maître de conférences habilité à l'Université de Bordeaux et enseigne également à Sciences-Po Paris. Il a assuré de 2006 à 2010 la direction scientifique d'un programme de recherche de l'ANR consacré au renseignement. Il a publié récemment avec O. Forcade : Général Louis Rivet, Carnets du chef des services spéciaux 1936-1944 (Nouveau Monde éditions, «Le Grand jeu», 2010).

Les services secrets illustrés pour Juliette

La petite Juliette, à qui Jean Duché voulait, il y a plus d’un demi-siècle, raconter l’histoire de France, trouvera peut-être dans ses sabots à Noël un beau livre : Dans les archives des services secrets. Un très beau livre. Magnifique même. L’Iconoclaste publie là un volume de très belle facture, encore plus réussi de ce point de vue que le précédent, qui avait invité le lecteur à se plonger dans les «Secrets de la police» (2008), après les archives du quai d’Orsay (2001).

Sont juxtaposés quarante-deux auteurs, certains écrivains, d’autres historiens, pour présenter cinquante-sept événements à travers de multiples documents, photographies de rapports, d’objets ayant trait au renseignement français depuis 1870, puisés dans divers centres d’archives publiques. Ce très gros livre impressionnant frappe d'emblée très fort en présentant (p.20) un organigramme historique des services français comportant cinq erreurs majeures : ainsi le secret sera préservé... Juliette n'y verra que du feu. Mais poursuivons : contrairement à ce qu’annonce la jaquette, qui ne recule devant aucun argument promotionnel à l’orée du mois de décembre, ces archives n’ont pas «été ouvertes pour la première fois». Sur les cinquante-sept événements évoqués seule une poignée a trait à des faits pour lesquels les archives publiques ne sont pas accessibles. Trois quarts des documents étaient donc accessibles depuis de nombreuses années à tous, curieux ou chercheurs. Il faut cependant saluer l’aide apportée à l’élaboration de ce volume par la DCRI, la DGSE et la Préfecture de police, qui donnent à voir quelques documents étonnants actuellement non accessibles au public, par exemple les microfilms effectués en 1981-1982 par l’officier français à Moscou chargé de traiter un lieutenant-colonel du KGB qui avait décidé de livrer des documents confidentiels à la France.

On aimerait croire que cette très partielle «entrouverture» augure d’une ouverture réelle de sous-séries d’archives complètes et non de simples sélections, à l’heure où les archives anciennes des services secrets français, de la fin des années 1940 et du début des années 1950, il y a plus d’un demi-siècle, demeurent hermétiquement closes. Cela permettrait de débuter l'écriture d’une véritable histoire des services secrets, comme il en existe désormais dans la plupart des pays d’Europe occidentale mais aussi en Russie aujourd’hui. Juliette verra donc un beau livre d'images mais malheureusement apprendra peu. Car en fait d'histoire certains auteurs accumulent les erreurs factuelles et les erreurs d'interprétation dont on a donné ailleurs (http://politeia.over-blog.fr/) une liste non exhaustive. On passera sur le fait que la notion d’archive ou de document «secret» ne soit jamais ni expliquée, ni même interrogée. Pourtant Juliette aurait certainement posé la question : qu’est-ce que c’est une «archive secrète» ?

Les deux courtes pages en gros caractères «d’avant-propos» cachent mal la vacuité du propos, malgré les mots ronflants de «direction scientifique» qui prêtent à sourire. Si celle-ci avait été réelle, on aurait connu, par exemple, les critères ayant présidé au choix des documents. On cherchera donc en vain une ligne directrice à ce qui unit une courtisane espionne de 1870 à l’intervention française des légionnaires parachutistes en 1978 à Kolwezi en passant par… les déportés par erreur à Mauthausen en 1941. En fait, comme beaucoup de publications journalistiques et d’hebdomadaires parus très récemment, cet ouvrage offre une vision du renseignement qui est celle «d’affaires» et d’anecdotes. Les préjugés sur les services secrets en sortent solidement confortés.

Plus que de très belles images, les services ont besoin d’histoire. Mais la petite Juliette aussi, fascinée – comme tous les enfants (et un certain nombre d’adultes apparemment…) – par ce qui est secret. Le papa de Juliette ou le père Noël pourront se demander pourquoi un tel livre a été publié ? Quelle est l’intention ? Quel est le projet éditorial ? Après avoir refermé cet incunable, on s’interroge toujours. Peut-être verra-t-on bientôt s’ajouter à la série les Archives secrètes de Matignon et les Archives secrètes de l’Élysée : peut-être pour Noël 2011 ?

Sébastien Laurent
( Mis en ligne le 23/11/2010 )
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