L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Nazisme et révolution - Histoire théologique du national-socialisme. 1789-1989
de Fabrice Bouthillon
Fayard 2011 /  19.90 €- 130.35  ffr.
ISBN : 978-2-213-65600-7
FORMAT : 13,5cm x 21,5cm

L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin.

1789 : Annus horribilis

«Le nazisme a été la réponse de l’histoire allemande à la question que lui avait posée la Révolution française» (p.11). D’emblée, Fabrice Bouthillon donne le ton qui sera le sien tout au long de son dernier ouvrage, Nazisme et Révolution, Histoire théologique du national-socialisme. 1789-1989, dans lequel il est question du prétendu lien de causalité directe entre 1789 et la Shoah. L’entreprise révolutionnaire, explique l’historien, était dès ses origines condamnée et parfaitement illusoire, puisque elle «dépassait les forces humaines» et nécessitait tout bonnement l’intervention de «dieu» (p.175). Nécessairement vouée à l’échec, la régénération amorcée par les Révolutionnaires aurait jeté partout en Europe de funestes ferments de division. En vue de refonder leur unité interne, tous les pays du Vieux Continent auraient stigmatisé, puis persécuté les Juifs. Le nazisme découlerait, donc, directement de la Révolution française.

Si la thèse de l’auteur a de quoi surprendre, elle s’inscrit en fait dans la lignée de la pensée contre-révolutionnaire. D’ailleurs, F. Bouthillon se réclame sans ambages des contempteurs les plus virulents de l’œuvre des hommes de 1789. Ainsi, l’historien fait appel aux enseignements de Maistre, Bonald et Burke afin de mettre en lumière les potentialités totalitaires de la Révolution française. Si d’une part l’amalgame de ces auteurs français avec le Britannique est à tout le moins hasardeuse, tant la sensibilité de Burke était moins conservatrice ou traditionaliste que libérale, il est étonnant d’opposer Maistre au totalitarisme comme le fait pourtant l’auteur.

En effet, dans son essai Le Bois tordu de l’humanité, Isaiah Berlin a considéré l’auteur réactionnaire comme l’un des précurseurs du totalitarisme moderne : «sa doctrine de la violence siégeant au cœur des hommes, sa croyance en la puissance des forces obscures, sa glorification des chaînes comme seules capables de contenir les instincts d’autodestruction de l’homme, son appel à la foi aveugle contre la raison, sa doctrine du sang et du sacrifice, de l’âme nationale, de l’absurdité de l’individualisme libéral» témoignent de l’affinité plus grande de Maistre avec le fascisme moderne qu’avec la pensée contre-révolutionnaire (M. Longwy, «Le Bois tordu de l'humanité. Romantisme, nationalisme et totalitarisme», Archives des sciences sociales des religions, 1994, Vol.86, n°1).

Au fil des pages, F. Bouthillon n’a de cesse d’évoquer le tiraillement des sociétés européennes entre la «Gauche» et la «Droite». Il ne tente toutefois nulle part de les définir précisément. Ce qui parait sinon peu rigoureux, du moins discutable dans la mesure où les frontières de la «Gauche» et de la «Droite» sont parfois ténues et souvent évolutives. Ce distinguo, que l’auteur présente comme la summa divisio de la politique européenne, n’épuise en aucune façon la richesse de la réalité historique : la «Gauche» et la «Droite» ne sont pas des blocs monolithiques. Pis, ces deux grands camps politiques sont traversés par une multitude de courants internes : par exemple, à «Droite», la sensibilité libérale diffère à la fois et du gaullisme et de la démocratie chrétienne. Naturellement, s’agissant de la «Gauche», il en va de même.

L’érudition tous azimuts dont fait preuve F. Bouthillon est certes louable, mais son argumentation est souvent outrancière et ne parvient nullement à emporter la conviction. Au cours d’un chapitre intitulé «Bismarck ou la ruine de l’unité allemande», l’historien n’hésite pas à écrire qu’il est «admirablement symbolique que Hitler soit né en 1889, pour le centenaire de la Révolution française, et cent ans tout juste aussi avant que la chute du mur de Berlin ne permette enfin la réunification de l’Allemagne, précisément sur cette frontière entre Autriche et Bavière qui était devenue en 1871, par la volonté de Bismarck, frontière entre l’Autriche et l’Allemagne» (p.54). Plus loin, F. Bouthillon rappelle la représentation du Serment du Jeu de Paume réalisée par David sur laquelle les Révolutionnaires s’engagent solennellement, la main tendue, à donner une constitution au royaume. L’auteur entreprend alors un parallèle douteux entre les hommes de 1789 et le salut hitlérien (p.171), puis entre les Nazis et les étudiants grévistes des «AG». F. Bouthillon conclut ce passage en écrivant que «tout le IIIe Reich est dans l’AG» (p.177). D’ailleurs, dans ses remerciements, l’auteur reconnait ironiquement sa dette envers les «guevaras d’amphithéâtre, pasionarias de sous-préfectures, petits apparatchikis syndicaux» grâce auxquels il a «pratiquement tout appris» du totalitarisme, rien de moins (pp.328-329).

Trop souvent, cette Histoire théologique du national-socialisme prend ainsi les allures d’un véritable chemin de croix…

Alexis Fourmont
( Mis en ligne le 01/03/2011 )
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