L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Hériter en politique - Filiations, générations et transmissions politiques (Allemagne, France et Italie, XIXe-XXIe siècle)
de Ludivine Bantigny , Arnaud Baubérot et Collectif
PUF - Le noeud gordien 2011 /  26 €- 170.3  ffr. / 380 pages
ISBN : 978-2-13-058491-9
FORMAT : 14,9cm x 21,6cm

Les ''Penchants de nos pères''

«(…) l’acte de transmettre est structurant dans toute formation sociale. Il assigne des places, fixe l’ordre des successions, permet les identifications». Ce que l’historien du droit et psychanalyste normand Pierre Legendre a naguère appelé l’«impératif généalogique» est extrêmement important, puisqu’il concourt au «réglage politique d’une société». Qu’en est-il en politique ? Autrement dit, qu’est-ce qu’hériter en politique et de quoi hérite-t-on concrètement dans ce cas ? Telles sont les interrogations qui ont servi de fil conducteur à l’ouvrage Hériter en politique. Filiations, générations et transmissions politiques (Allemagne, France et Italie, XIXe-XXIe siècle).

Préparé sous la direction de Ludivine Bantigny et d’Arnaud Baubérot, ce livre a été édité par les PUF. Il reprend les contributions scientifiques que des chercheurs ont présentées lors d’un colloque qui s’est tenu en 2009 à Sciences Po. Les auteurs sont certes des historiens, mais l’approche retenue est pluridisciplinaire puisque la science politique, la sociologie et la psychanalyse sont habilement mêlées dans ce travail. Il s’agissait en effet d’étudier, dans un souci de savoir partagé, la manière dont se façonnent et se perpétuent dans trois pays d’Europe continentale les cultures politiques au gré des générations et grâce aux passeurs d’héritage.

L’ouvrage s’attarde donc tout spécialement sur les modifications que ces transmissions opèrent sur le contenu des valeurs, des normes et des rites politiques. Il est également fait grand cas de la façon dont les héritages «sont pris en charge». Ceux-ci sont constitués d’éléments divers, comme par exemple «un patrimoine idéologique, des textes, des héros et des valeurs, une histoire». On hérite en sus d’une «identité sociale bâtie ou non sur le moule de l’identité familiale» ainsi que de «réseaux et de fiefs, des mandats et d’influence locale et/ou nationale». En politique, les transmissions font rarement l’économie de médiateurs que les auteurs appellent des «passeurs, voire des intercesseurs : il peut s’agir de parents, mais aussi de protecteurs, de patrons et de maîtres à penser».

Par ailleurs, précisent les auteurs, la plupart du temps, le legs est «volontaire», sinon «volontariste, accompagné d’une solide éducation». Parfois, au contraire, ceux qui lèguent le font «à leur corps défendant, avec réticence et défiance envers les héritiers, voire en leur refusant le droit même d’hériter». A ce propos, les exemples tirés de la récente histoire politique de l’Hexagone sont nombreux et frappants. Les vecteurs de l’héritage sont, en politique, multiples : «écoles de cadres et de formation, salons, sociétés savantes, conférences d’éloquence, où s’instaurent des sociabilités».

S’agissant de ce qui est fait du legs, les options sont diverses. Si d’aucuns le revendiquent souvent dans une logique de fidélité absolue au mentor pour le faire fructifier et en retirer un éventuel bénéfice politique, d’autres «l’assument mais le font évoluer». Parfois, l’héritage est tout bonnement rejeté pour éviter d’être identifié trop clairement et directement au prédécesseur. Les configurations possibles sont donc infinies, si bien qu’il y a «des héritages efficaces et d’autres impuissants ; il y a des héritages sans héritiers et des héritiers sans héritages, ceux-ci étant dilapidés ou reniés».

Pour explorer les nombreuses facettes du phénomène de l’héritage en politique, cet ouvrage comprend quatre parties. La première partie évoque la naissance, l’imprégnation et la transmission des cultures politiques, avec notamment l’étude du Parti communiste italien, lequel a finalement changé de nom. Surtout, le PCI a passé un accord historique avec la démocratie chrétienne italienne en 1980, par l’intermédiaire d’Enrico Berlinguer. Le PCF, quant à lui, a fait lui le choix contraire, celui de perpétuer son lourd héritage et de ne pas reconnaître ses erreurs.

La deuxième partie concerne les organisations politiques et les formations des jeunes générations. Sont entre autres évoquées les luttes de l’entre-deux-guerres entre communistes et catholiques à Ivry-sur-Seine, bastion communiste du Val-de-Marne, ainsi que la succession au sein du Parti radical, qui fut le premier parti de France. La troisième partie évoque les biais par lesquels on devient militant et notamment le cas emblématique de la jeunesse étudiante. Pour finir, la quatrième partie se penche sur les rapports entre politique et famille. La politique s'apparente en effet fréquemment à une «affaire de famille» avec «flambeaux dynastiques et conflits de générations».

Des développements plus conséquents sur l’atavisme en matière politique auraient été intéressants, car il est possible de se demander - avec Montaigne - «par quel prodige cette goutte de semence, d’où nous tirons notre être porte-t-elle l’empreinte non seulement de la forme corporelle, mais [aussi] des façons de penser et des penchants de nos pères».

Jean-Paul Fourmont
( Mis en ligne le 10/05/2011 )
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