L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Les Enfants cachés en France
de Nathalie Zajde
Odile Jacob 2012 /  22,20 €- 145.41  ffr. / 247 pages
ISBN : 978-2-7381-2758-7
FORMAT : 14,5 cm × 22,9 cm

A l'abri

Depuis une bonne vingtaine d’années, Nathalie Zajde, maître de conférences à Paris 8, poursuit ses recherches de psychologie sur la clinique du traumatisme au Centre Devereux, un des rares en France, sinon le seul à l’université, ayant pour vocation l’accompagnement et le soin de personnes en difficultés, sociales et psychiques, suite à l’effraction infligée par des évènements externes telles les guerres, les migrations et les nouvelles formes d’exclusion. Responsable ou associée à des travaux menés au Burundi, en Guinée et en Israël, Nathalie Zajde a soutenu en 1993 une thèse intitulée La Transmission du traumatisme chez les enfants des survivants juifs de l’holocauste nazi, dirigée par Tobie Nathan.

Inscrite dans cette continuité, la présente recherche interroge les conséquences à long terme des effets de la Shoah chez des personnes qui doivent leur survie au fait d’avoir été cachées et mises à l’abri des persécutions isolément de leur famille. Plusieurs d’entre elles se sont retrouvées après la guerre face à l’irrémédiable réalité des pertes subies et se sont pourtant réorganisées de manière inattendue. Basé autant sur les récits de vie de célébrités intellectuelles et scientifiques — comme Saul Fredländer, Boris Cyrulnik, Shima Arom, Serge Klarsfeld, André Glucksmann — que sur les témoignages de personnes rencontrées dans un cadre thérapeutique en France et en Israël, l’ouvrage, rédigé en termes clairs et suivant un découpage didactique, s’adresse à un large public, comme la plupart des titres chez Odile Jacob, destinés à la diffusion des idées et des connaissances.

Chacun des récits retrace d’incroyables aventures pourtant réelles, jalonnées de drames et de discontinuités où l’équivalence entre vie et mort, séparations et retrouvailles, semble se jouer aux dés. Les lois en vigueur n’expliquent pas toujours pourquoi certains membres des familles persécutées ont été massacrés et d’autres épargnés, à un moment plutôt qu’à tel autre, laissant des enfants dans l’errance, l’ignorance des faits et la perte des repères tangibles, y compris de leur propre identité. C’est dire le climat d’incertitude et d’effroi (dit «frayeur», concept ethnopsychiatrique propre à l’équipe de Tobie Nathan) dans lequel ''les enfants cachés'' ont survécu, par erreur, par ruse ou par hasard, grâce aussi à l’action des Justes de France.

Devenus adultes, certains enfants cachés ont pu surmonter les évènements traumatiques à l’encontre de tout déterminisme et même connaître de brillantes réussites, ce qui corrobore l’hypothèse principale : l’activité psychique a un poids décisif face aux situations extrêmes, validée par ailleurs par d’autres recherches cliniques, notamment dans le registre psychosomatique. Le deuxième volet de conclusions montre que chez les enfants cachés subsiste «une plaie toujours susceptible de se rouvrir, y compris chez les descendants», aspect transgénérationnel spécifique des survivants de la Shoah, peut-être applicable à des populations rescapées d’autres génocides, inscrit semble-t-il parmi les séquelles de deuils non faits.

L’ensemble du travail est présenté avec beaucoup de compassion et d’implication personnelle. Soucieuse de respecter la parole de chacune des personnes rencontrées et de partager son vécu, Nathalie Zajde se heurte à l’inévitable dilemme de l’approche qualitative en psychologie clinique, seule pertinente eu égard à la problématique étudiée, consistant soit à multiplier les exemples au détriment de la définition des axes de recherche, soit à tenter quelques généralisations nécessairement réductrices : «le génie des enfants cachés, intelligents, rusés, séducteurs, etc.». L’art est difficile. Un autre écueil réside dans l’aspect hybride de ce type de publication où il s’agit de capter sinon de captiver un public non spécialisé tout en donnant des références et des explications précises aux lecteurs plus exigeants. Celles-ci placées en fin d’ouvrage sous forme d’annexes, notes et glossaire avec renvoi de l’un à l’autre ne sont pas commodes à consulter.

En dépit de ces quelques remarques, mineures, Les Enfants cachés en France contribue à enrichir la connaissance d’un domaine d’exploration complexe, récemment ouvert, grâce ou en dépit de la rencontre entre la subjectivité de l’auteure et celle de centaine de personnes qui ont accepté de confier leur irremplaçable et douloureux témoignage : une belle initiative sans laquelle tout un pan de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en France risquerait de rester méconnu.

Monika Boekholt
( Mis en ligne le 01/05/2012 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)