L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Une histoire du théâtre à Paris - De la Révolution à la Grande Guerre
de Jean-Claude Yon
Aubier - Historique 2012 /  29 €- 189.95  ffr. / 448 pages
ISBN : 978-2-7007-0188-3
FORMAT : 15,2 cm × 24,0 cm

Voir aussi :

- Laurent Mannoni et Stéphanie Salmon (dir.), Les Enfants du paradis, Marcel Carné - Jacques Prévert, Editions Xavier Barral, 2012, 264p., 48€, ISBN : 978-2-36511-018-1

L’auteur du compte rendu : Philippe Poirrier est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne. Il a notamment publié Les Enjeux de l’histoire culturelle (Seuil, 2004), dirigé Politiques et pratiques de la culture (La Documentation française, 2010) et L’Histoire culturelle. Un "tournant mondial“ dans l’historiographie ? (EUD, 2008).


Le temps de la ''dramatocratie''

Dans cet ouvrage, à la charnière de la synthèse et de l’essai, Jean-Claude Yon, historien du spectacle vivant, propose une plongée dans l’univers du théâtre parisien au XIXe siècle. On a peine à imaginer aujourd’hui la place qu’occupait le théâtre dans la société du temps. La notion de «dramatocratie» — que l’auteur emprunte à un journaliste américain, correspondant en 1838 du New York American à Paris — vise à rendre compte de la place d’une pratique culturelle qui touche de près ou de loin à toute les strates de la société, et qui est au centre de la vie publique. L’auteur souligne combien les pouvoirs publics demeurent sensibles à cette question : il s’agit à la fois de maîtriser le nombre de théâtres et de contrôler, par un système de censure, le répertoire. La liberté du théâtre, proclamée dès les débuts de la Révolution française, est vite abandonnée, et ne sera vraiment acquise que sous la phase libérale du Second Empire. Le décret du 6 janvier 1864, qui accorde la liberté industrielle, traduit l’obsolescence du système des privilèges et le rôle désormais essentiel du marché. Il profite au répertoire lyrique, notamment l’opérette. La censure perdure longtemps, même sous les régimes républicains. Il faut attendre 1906 pour que la suppression de la ligne budgétaire qui permet de rémunérer les censeurs entraine de facto sa disparition.

Au-delà de la place de la politique théâtrale, l’ouvrage analyse les structures de la vie théâtrale (l’entreprise, les interprètes, les modalités de la représentation) et montre la diversité des répertoires et des spectacles : formes traditionnelles avec les grands genres littéraires et les pièces lyriques ; formes nouvelles avec les mélodrames et les vaudevilles ; sans oublier l’émergence de formes spectaculaires, de la danse à la féérie. Plus de 32000 pièces sont créées dans la capitale, entre 1800 et 1900. Surtout, le théâtre demeure un lieu de sociabilité : les élites s’y rencontrent dans leur loge, et se donnent en spectacle. Les classes populaires, qui migrent progressivement du parterre au paradis (ou poulailler), restent très présentes : bruyantes et revendicatives, elles font du théâtre un lieu de débat politique ; configuration tolérée par les pouvoirs publics tant que le débat reste circonscrit à la salle de spectacle.

L’émergence de nouveaux loisirs, des spectacles de curiosité au cirque, du music-hall aux spectacles sportifs, puis le cinéma, contribuent, à la fin du siècle, à faire perdre au théâtre son public populaire. La société du spectacle et la culture de masse allaient sceller la fin de la «dramatocratie». Les contemporains les plus avisés, comme André Antoine dès le début des années 1890, ont bien perçu cette mutation essentielle, que la coupure de la Grande Guerre accélèrera encore.

Cette somme est un exemple particulièrement réussi d’une histoire culturelle sensible à la création, à la diffusion et à l’appropriation des biens culturels. Jean-Claude Yon confirme également la plus-value heuristique que constitue une pluridisciplinarité maîtrisée au service d’une analyse contextualisée de la vie culturelle, saisie dans toutes ses dimensions.

On pourra compléter cette lecture par le catalogue de l’exposition que la Cinémathèque française a consacré, du 24 octobre 2012 au 27 janvier 2013, au film Les Enfants du Paradis de Marcel Carné. L’ouvrage, richement illustré et comportant plus de 200 documents, analyse dans tous ses aspects ce chef d’œuvre du cinéma de «qualité française» : la condition du cinéma français sous l’Occupation (Pascal Ory), l’amitié créatrice liant Carné, Prévert, Trauner et Kosma (Carole Aurouet), les sources d’inspiration historiques et littéraires (Laurent Mannoni), l’écriture du scénario (Carole Aurouet), le tournage (Laurent Mannoni et Stéphanie Salmon), les acteurs et les costumes de Mayo (Stéphanie Salmon), la musique de Kosma (Stéphane Lerouge), la production (Hervé Joly) et finalement, la stratégie de sortie et l’accueil critique du film en 1945 (Serge Toubiana). Marcel Carné sut reconstituer avec talent l’ambiance de ce boulevard du crime qui fut, sous la Monarchie de Juillet, un des hauts lieux de la vie théâtrale parisienne. Le film, qui vient de ressortir en salle, est également disponible, depuis octobre 2012 en DVD et en Blu-ray, dans une version restaurée réalisée par Pathé et exécutée par les laboratoires L’Immagine Ritrovata et Éclair Group pour la partie image et L.E.Diapason pour la partie son.

Philippe Poirrier
( Mis en ligne le 18/12/2012 )
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