L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

La Droite française - Aux origines de ses divisions (1814-1830)
de Olivier Tort
Comité des travaux historiques et scientifiques - CTHS-Histoire 2013 /  28 €- 183.4  ffr. / 347 pages
ISBN : 978-2-7355-0792-4
FORMAT : 15,0 cm × 22,0 cm

Jean-Pierre Chaline (Préfacier)

L'auteur du compte rendu : Agrégé, Pierre Triomphe a soutenu une thèse sur «Les mises en scène du passé au Palais-Bourbon (1815-1848). Aux origines d’une mémoire nationale». Il a publié L’Europe de François Guizot (Privat, 2002).


La droite, combien de divisions ?

La Restauration s’achève par une année de lutte acharnée entre l’ancienne et la nouvelle France. C’est en fonction de cette opposition structurante que les historiens ont analysé l’histoire politique de ces quinze années. Les deux camps sont cependant loin d’être soudés et homogènes. De nombreux travaux, comme ceux de Pierre Rosanvallon, Pierre Serna, Jean-Jacques Goblot ou Aurelian Craiutu, voire ceux plus contestables de Jeanne Gilmore, ont eu l’occasion de montrer la diversité d’un camp libéral où voisinent des hommes d’ordre sincèrement attachés à la monarchie, voire aux Bourbons, des bonapartistes, voire des républicains.

Version remaniée d’une thèse soutenue à l’Université Paris-IV, l’ouvrage d’Olivier Tort, La Droite française. Aux origines de ses divisions, 1814-1830, remet lui aussi en cause toute lecture bipolaire de la vie politique sous la Restauration. Il s’intéresse au camp d’en face, plus délaissé par l’historiographie, celui qu’il appelle la droite donc. L’usage de ce terme, plutôt que de l’usuel qualificatif d’ultras, est justifié par l’auteur de façon intéressante quoique discutable. Il traduit la portée de sa réflexion, qui vise, à travers l’étude approfondie de la Restauration, à proposer une nouvelle lecture des divisions de la droite en France depuis cette époque jusqu’à nos jours. Remettant en cause les trois familles distinguées par René Rémond (les droites légitimiste, bonapartiste et orléaniste), il considère que ces divisions relèvent avant tout de l’opposition entre une extrême droite dont le radicalisme idéologique est par certains côtés idéaliste, et une tendance majoritaire, aux idées d’autant plus incertaines qu’elles débouchent dans la pratique sur «un pragmatisme gestionnaire, volontiers opportuniste» (p.17).

De 1815 à 1830, ces deux tendances ont pour principaux représentants La Bourdonnaye et Villèle, autour desquels gravitent, avec plus ou moins de cohérence, les autres acteurs de la droite. L’auteur analyse les racines sociologiques de ces positionnements. Se fondant sur des données prosopographiques, il met en valeur le rôle des origines familiales, au sein d’un univers où la noblesse joue un rôle essentiel, la place des individus dans l’appareil d’État, les querelles de générations… Le fonctionnement des institutions de la Restauration joue aussi son rôle. Les affrontements ont pour théâtre principal la Chambre des députés – et, jouant souvent un rôle plus décisif pour régler les conflits internes à la droite, les réunions parlementaires étudiées avec force détails –, la presse, parfois la Chambre des pairs, et de façon plus épisodique la Cour.

Le recours à des sources abondantes (fonds d’archives nationaux et départementaux, mémoires, presse, pamphlets…) permet de comprendre les mécanismes régissant ces luttes, et agrémente la lecture de passages savoureux, à l’instar de ces multiples portraits-charges révélateurs des profondes animosités qui règnent au sein de la droite, et peut-être plus fondamentalement d’une «haine de soi» qui s’exprime à travers la description de son double. Partiellement tributaires de ces affrontements, les fluctuations électorales de la droite font l’objet d’analyses poussées, aussi bien géographiques que diachroniques, étayées par de nombreuses données quantitatives. Enfin, la dernière partie, consacrée à l’idéologie des droites au cours de cette période, plutôt que d’offrir une énième synthèse d’une vision réactionnaire du monde que les travaux de J.-J. Oechslin ou G. Gengembre ont largement analysée, se propose de mettre en perspective certains aspects de cette pensée sur des points essentiels, comme l’appréhension des relations internationales ou des questions sociales.

Même si l’on peut toujours regretter que, ne serait-ce qu’en raison de son volume, cet ouvrage n’aborde pas en profondeur d’autres points, comme les rapprochements entre une partie de la droite et les libéraux sur des questions comme le philhellénisme, il s’avère indispensable à la compréhension de la France post-révolutionnaire. Doté d’un index et d’une bibliographie qui en font un précieux outil de travail, son écriture fluide et le travail d’édition soigné le rendent d’autant plus agréable à lire. Il se distingue en effet par une mise en page et une typographie soignées, par la présence d’un riche cahier iconographique et de très parlantes cartes électorales de la Restauration.

Pierre Triomphe
( Mis en ligne le 17/09/2013 )
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