L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Nouvelle histoire de l'Occupation
de Eric Alary
Perrin 2019 /  24 €- 157.2  ffr. / 423 pages
ISBN : 978-2-262-04714-6
FORMAT : 15,6 cm × 24,1 cm

Dernières nouvelles de la France des ''années noires''

Eric Alary, en historien spécialiste de la France occupée, délivre un ouvrage de synthèse enrichi des dernières recherches sur une histoire plus personnelle et plus complexifiée des rapports entre occupants et occupés, centrée sur des témoignages contemporains. Il envisage une histoire de l'Occupation plus sociale et individuelle plutôt qu'une version traditionnelle plus politique et orientée vers l'histoire du régime de Vichy, des seuls Français, et des institutions du IIIe Reich en France.

Les Allemands ont véhiculé une image de la France fortement marquée par la guerre de 1870 et la Première Guerre mondiale ponctuée par le traité de Versailles. La France apparaît, pour la majorité des Allemands, un pays en déclin sur tous les plans, racial, démographique, économique, culturel et politique. L'ennemie héréditaire de l'Allemagne transparaît dans l'image décrite et transmise par l'ouvrage d'Hitler Mein Kampf, publié en 1934 en français. La Russie, terre du bolchevisme et du communisme, est l'autre ennemi de l'Allemagne, réservoir de terres à conquérir afin d'étendre l'espace vital de la race allemande.

L'ouvrage mêle à la fois un récit progressif de l'Occupation de la France par l'Allemagne, sans toutefois suivre un cheminement strictement chronologique, et une présentation thématique choisie sur certaines caractéristiques fondant les relations entre occupants et occupés. Il est rappelé que la "drôle de guerre" située entre septembre 1939 et l'invasion de la France du 10 mai 1940, et décrite, selon l'image d'Epinal, comme une simple période d'attente et d'ennui, connaît d'importants mouvements de populations fuyant les zones de combats, une désorganisation généralisée (début de l'exode qui concernera 8 à 10 millions de personnes) et de nombreux accidents logistiques dus aux préparatifs militaires : "Les évacués ne sont pas toujours bienvenus ; le maire de Limoges se montre peu accueillant en janvier 1940 lorsqu'il critique méchamment les Alsaciens, dépeints comme des fainéants, comme ceux qui enlèvent le pain de la bouche des autochtones". L'arrivée des Allemands avive les tensions et les clivages entre Français, qui ne feront que grandir au fur et à mesure que l'occupant instrumentalise le régime de Vichy, exploite le pays en abusant à l'envi de la situation dramatique d'un pays défait.

Les Allemands détiennent un pouvoir total sur la zone occupée. La zone non occupée est délimitée par la ligne de démarcation sous l'administration indirecte de Vichy mais largement sous la tutelle nazie. Cette configuration apparaît singulière pour la France dans une Europe sous le joug nazie dont la machine de guerre impose une occupation militaire répressive et d'une violence sans pareil, notamment à l'Est. L'Occupation allemande se manifeste par la germanisation et la nazification de l'Alsace-Moselle et des 3 départements (Bas-Rhin, Haut-Rhin, Moselle), les autres départements lorrains (Meurthe-et-Moselle, Meuse, Vosges) échappant à l'annexion. Le Gauleiter (chef de district dans l'Allemagne hitlérienne) y applique une politique d'expulsion systématique, conforme à l'idéologie de la pureté raciale nazie, permettant un retour de ces territoires à la germanité dont ils partagent l'origine selon l'idéologie promue : 90 000 Mosellans et 45 000 Alsaciens sont expulsés vers la zone non occupée en 1940. La langue française y est interdite, les noms de lieux et de personnes sont germanisés (Colmar devient Kolmar). Les instituteurs Mosellans doivent apprendre l'allemand et appliquer la pédagogie allemande dans les écoles du Reich. Le 29 août 1942, le service militaire obligatoire est instauré pour les occupés, au sein de la Wehrmacht ; 100 000 Alsaciens et 30 000 Mosellans seront obligés de porter l'uniforme allemand. Le Nord et le Pas-de-Calais sont rattachés à l'administration militaire allemande, celle-ci s'évertuant à exploiter méthodiquement ces territoires mis au service du Reich en guerre. Ces deux départements sont séparés du reste de la France et considérés comme appartenant à un royaume germanique.

L'exode lors de l'avancée des troupes nazies est effroyable : les bombardements, et la peur de l'ennemi jettent les réfugiés sur les routes. Environ 90 000 enfants sont perdus et esseulés durant cette période. Les troupes nazies, mettant en pratique les conséquences macabres de leurs théories racistes, massacrent 1500 à 3000 soldats noirs qui résistent à l'invasion. L'ouvrage insère plusieurs récits de témoins de l'époque dans la narration. Les Français sont à la fois étonnés de la rapidité de l'invasion et de l'attitude relativement "correcte" des envahisseurs notamment par rapport aux images véhiculées par les mythes de la Grande Guerre. Alary dessine la situation particulière de l'Occupation de la France qui n'a pas d'équivalent dans l'Europe nazie, à la fois par la trahison des élites françaises divisées et par les luttes intestines et la concurrence au sein même des institutions du Reich (entre l'administration militaire, les services de l'ambassade d'Otto Abetz, la police de sécurité du Reich- SIPO et le service de sécurité de la SS-SD notamment).

Le 10 juillet 1940, l'Assemblée Nationale vote les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, à Vichy. Avant cela, la signature de l'armistice entérine la situation de partage du territoire : l'auteur décrit la signature de l'armistice à Rethondes en écho à la signature de 1918, les Allemands débutant l'entrevue par un retour sur les souffrances endurées lors de la Grande Guerre. La situation de partage sera ambivalente et utilisée par Vichy pour créer l'illusion auprès des Français d'une souveraineté nationale préservée. Pétain est perçu comme une figure providentielle dans un climat de chaos et de crise généralisée. Il cristallise des attentes contradictoires entre ceux qui aspirent à la paix, ceux qui souhaitent détruire la République, ceux qui veulent restaurer la place de l'Eglise et éradiquer les ennemis juifs et franc-maçons. La collaboration d'Etat se met en place entre le régime de Vichy et le IIIe Reich, notamment après l'occupation totale du pays à la suite du débarquement allié en Afrique du nord.

Le programme de la "Révolution Nationale" vise à rompre avec une République jugée dégénérée : "Par une loi du 22 juillet 1940, l'une des premières du régime de Vichy, les naturalisations prononcées depuis 1927 sont révisées, conduisant à dénaturaliser près de 15 000 Français qui deviennent des apatrides ex abrupto. Près d'1 million de Français sont visés par cette loi, et au premier chef, les Juifs" En octobre 1940, Pétain instaure un nouveau statut pour les Juifs, ce derniers aggravant les conditions par rapport à l'ordonnance prévue par les occupants. Les juifs sont exclus de la communauté nationale, de la fonction publique et des médias. Le statut de 1941 durcit les conditions et prévoit un recensement systématique prélude aux arrestations de masse et aux déportations : "En fait, les statuts discriminatoires de Vichy servent la mise en œuvre des projets allemands de déportation et d'extermination des Juifs de France". Les protocoles de Paris négociés et signés en 1941 organisent une collaboration d'Etat plus active, notamment sur les plans militaire et économique. Les Allemands n'envisagent qu'une collaboration asymétrique servant leurs projets militaires ; d'ailleurs, la collaboration économique sera seule un succès pour l'occupant qui pillera à la fois les ressources matérielles et en main d'oeuvre de la France occupée.

Eric Alary évoque la mise au pas de la culture et des loisirs des Français, qui deviennent des vecteurs d'un contrôle social renforcé et des armes de propagande. Dès l'été 1940, des listes d'ouvrages politiques sont dressés et près de 700 000 ouvrages sont détruits. Les Allemands se sont évertués à utiliser le cinéma français à des fins politiques. L'Occupation se tend à compter de l'invasion de l'URSS par les Allemands qui ont à la fois besoin de ressources matérielles et en hommes. La politique répressive de Vichy s'accroît avec la multiplication des assassinats de membres de l'armée allemande. En mai 1942, Carl Oberg prend la tête de la stratégie policière de la zone occupée. Celui qui sera surnommé "Le Boucher de Paris" ouvre une période terrifiante pour les Juifs, les communistes, les gaullistes, maçons et résistants ou "terroristes". En août 1942, l'accord Bousquet-Oberg permet une ligne de partage entre une police française ciblant la Résistance et la police allemande protégeant les troupes de la Wehrmacht. Les 16-17 juillet 1942, la rafle du Vel d'Hiv est organisée par la police et la gendarmerie nationale sous la direction des SS ; 12 884 Juifs sont arrêtés.

L'historien rappelle les nombreuses luttes intestines au sein de la Résistance, traduisant une forte division politique et idéologique dans des temps troubles. La violence s'amplifie après 1943 et le revirement de la guerre mondiale défavorable aux Allemands à partir de Stalingrad. La Milice de Joseph Darnand regroupe 30 000 hommes qui pourchassent les Juifs, les communistes, les maçons. Le débarquement de Normandie le 6 juin 1944 constitue le tournant de la guerre à l'Ouest. L'ouvrage revient en détails sur les massacres de civils, notamment dans le sud-ouest, et la violence répressive des troupes allemandes lors de la percée des Alliés. Il rappelle que les soldats de la Wehrmacht sont souvent à l'origine de plusieurs massacres contrairement à l'idée reçue d'une responsabilité principale des SS. Il écrit qu'Hitler, dans son bunker, au moment des offensives soviétiques et alliées, aurait regretté la collaboration franco-allemande considérée comme une erreur. A la Libération, 1 million de soldats allemands croupissent dans les camps, contrôlés par les Alliés et les Français de juin 1944 à 1948. 50 000 prisonniers allemands ont été utilisés pour le déminage du territoire français.

Cette Nouvelle histoire de l'Occupation permet de plonger dans la complexité de la période des années sombres de la France occupée. Lecture intéressante et bien menée, à la fois classique dans son approche et renouvelée sur certains aspects, cette synthèse précise des thèmes plus marginaux de cette période, comme les violences et exactions des Allemands en retraite, accompagnant la retraite et la Libération du pays ou encore la concurrence entre institutions allemandes dans l'application de la collaboration ou de la répression. L'ouvrage nous rappelle, fort à propos, que l'Europe d'aujourd'hui revient de très loin.

Dominique Margairaz
( Mis en ligne le 18/07/2019 )
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