L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

L'Impossible innocence - L'histoire de l'affaire Seznec
de Michel Pierre
Tallandier 2019 /  19,90 €- 130.35  ffr. / 318 pages
ISBN : 979-10-210-4095-3
FORMAT : 14,5 cm × 21,4 cm

La justice, malgré le tribunal de l’opinion

Depuis près d’un siècle, une affaire hante une partie de l’opinion publique : en 1924, la cour d’assises du Finistère a-t-elle commis une erreur judiciaire et envoyé un innocent au bagne ? Pire, et si Guillaume Seznec avait été la victime d’une machination policière, destinée à étouffer un scandale d’État dans lequel il aurait été entraîné bien malgré lui ? Et si, enfin, la justice n’avait jamais voulu reconnaître son erreur, et avait couvert la machination, malgré les demandes de révision de Seznec lui-même, puis de sa famille ?

Les réponses de Michel Pierre tiennent dans le titre de son ouvrage : L’impossible innocence. Il expose les faits qui sont là depuis le début, accablants et têtus comme des Bretons : c’est bien Seznec qui a, en 1923, tué son ami Pierre Quéméneur, conseiller-général du Finistère, avant de faire disparaître son corps, pour s’emparer de ses biens. Quant à la justice, elle a fait son travail avec sérieux, rigueur et indépendance, d’abord en condamnant Seznec en 1924, puis en rejetant toutes les demandes de révision, la dernière fois de manière sans doute définitive en 2006 par la Cour de Cassation, pourtant soumise à de fortes et multiples pressions.

Alors comment un banal fait divers crapuleux est-il devenu en quelques années et jusqu’au début du XXIe siècle à la fois un feuilleton et une cause médiatique de premier plan ? C’est là que se trouve la véritable affaire Seznec, de loin la plus inquiétante. Puisque les détails de l’austère et triste vérité sont enfouis dans la poussière des archives du procès, que pratiquement personne n’a le courage d’explorer, les partisans de Seznec ont pu construire leur propre récit. Ils se sont arrangés avec des faits qu’ils sont à peu près les seuls à connaître et, à coups de livres, de conférences, de plateaux télé, de chansons ou de spectacles-procès, ils ont su jouer des cordes de l’émotion et du complot, pour faire naître le doute et imposer leur version de l’histoire, dans laquelle Seznec est devenu une sorte de Dreyfus breton. C’est ainsi que par générosité, par paresse intellectuelle, par réflexe, par mimétisme, par méfiance des institutions ou par solidarité régionale, la Ligue des droits de l’Homme et l’extrême droite bretonnes avant-guerre, puis les gros bataillons peu vigilants du tout-Paris intellectuel, scientifique, politique et médiatique plus près de nous, et une foule de citoyens lecteurs ou téléspectateurs se sont laissés embarquer, souvent de bonne foi, dans un combat qui n’avait pas lieu d’être.

En nous racontant une affaire criminelle, ce livre à l’écriture vive et précise, qui commence comme un polar et se termine comme un essai, nous alerte aussi sur des mécanismes de manipulation de l’opinion publique. Une réflexion importante, à l’heure où les fake news ont tendance à remplacer les faits et où les clashs sur les réseaux sociaux tiennent de plus en plus lieu de débat public.

Antoine Picardat
( Mis en ligne le 29/01/2020 )
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