L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

La Résistance sans héroïsme
de Charles d' Aragon
Editions du Tricorne 2001 /  / 258 pages
ISBN : 2-8293-0228-1

Edition présentée par Guillaume Piketty

Le Tour de France d’un résistant

Les témoignages de résistants sont à l’honneur depuis de nombreuses années. C’est d’ailleurs quasiment devenu un genre littéraire en soi. Depuis les années 1970, à l’heure de la vieillesse, de nombreux résistants ont décidé de livrer leurs souvenirs dans des livres où alternent le souffle, l’épique, le tragique, l’hagiographie et… les règlements de compte politiques ou personnels. Charles d’Aragon (1911-1986), issu d’une vieille famille rouergate, publia son témoignage dans un volume en 1977, après l’avoir fait paraître partiellement dans Esprit. Aujourd’hui, éclairé par une très dense introduction de Guillaume Piketty, spécialiste de la résistance, les éditions genevoises du Tricorne proposent la réédition de ce livre précieux et tout à fait original. Un ton ironique, distancié, distingue ce témoignage : ce livre, sous les apparences de la simplicité, est en fait très écrit. On y découvre progressivement l’un des « seconds couteaux » de la résistance méridionale, homme de haute culture et de conviction catholique affirmée. Cette autre caractéristique donne un grand intérêt à l’ouvrage : si la résistance de caractère politique est de mieux en mieux connue, notamment par le témoignage des acteurs, celle des hommes de foi, laïcs ou religieux, demeure encore à découvrir.

De famille royaliste et probablement légitimiste, Aragon fut un journaliste proche des démocrates-chrétiens à partir du milieu des années 1930. Ce témoignage met particulièrement en valeur les grandes figures de l’Aube et du PDP dont certaines furent à l’origine du MRP. Aragon débuta d’ailleurs sa carrière politique dans ce parti, juste après la Libération. A la différence de nombreux mémorialistes de la résistance, La Résistance sans héroïsme est un texte d’où l’auteur s’absente. L’introduction érudite de Guillaume Piketty est donc d’autant plus nécessaire pour comprendre le rôle du personnage. S’effaçant, Charles d’Aragon décrit les figures de la clandestinité qu’il a croisées dans toute la France : Georges Bidault, Jean Moulin, Jean Ravanel, Pierre Hervé, Michel Debré, François de Menthon, Christian Fouchet, Henri Frénay, Robert Lacoste... Assurément, Aragon fut un modeste et son témoignage, de ce point de vue, n’est pas sans rappeler celui de Jean-Pierre Lévy. Engagé, d’abord, brièvement, dans « la dernière colonne », puis dans « Liberté » enfin dans « Combat », Aragon dut, pour les besoins de la cause mais aussi pour échapper à la police, passer de Toulouse à Lyon puis à Genève, enfin à Paris, avant de revenir dans le Tarn dont il présida le CDL en 1944.

On observe que le dilettante distingué et pudique s’efface nettement après 1942 devant le militant et le responsable de la résistance, de plus en plus occupé par ses responsabilités. Ainsi, en sa compagnie, c’est un véritable tour de France de la Résistance qui est proposé au lecteur. Les évocations du Lyon brumeux, du « Paris des rendez-vous » sont des plus réussies sous la plume d’un homme devenu (malgré lui ?) un notable de la résistance méridionale. Il reste à connaître le Journal d’Aragon dont la parution est annoncée prochainement. L’homme s’y dépouillera-t-il de sa réserve ?

Sébastien Laurent
( Mis en ligne le 31/12/2001 )
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