L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Le XIXe siècle et l'Histoire - Le cas Fustel de Coulanges
de François Hartog
Seuil - Points histoire 2001 /  6,19 €- 40.54  ffr. / 429 pages
ISBN : 2-02-047563-4

Réédition de l'ouvrage paru aux PUF en 1988 avec une préface inédite de l'auteur.


Le précurseur de l'histoire scientifique nationale.

L'ouvrage de François Hartog accompagne le regain d'intérêt, encore confidentiel, pour une approche sociologique de l'histoire que l'on pourrait aussi appeler "l'histoire de l'histoire". Comme un objet à refouler, cette étude de l'histoire par elle-même se heurte à de nombreux obstacles d'ordre professionnel mais surtout politiques. En effet, peu d'historiens ont cherché à décrire les mécanismes de la constitution de l'histoire au sein du champ scientifique, son autonomisation, et la place grandissante de ses représentants professionnels au sein de la société républicaine et nationale.

Un livre sur Fustel de Coulanges ne peut se départir de cet ensemble de thèmes qui sont au coeur de l'Etat-nation français tel qu'il existe aujourd'hui dans l'Europe occidentale. Fustel, comme on l'appelle, puisque l'historien n'aura de cesse de taire son prénom (Numa-Denis), se situe à un moment charnière qui voit passer progressivement la figure de l'historien-écrivain à celle de l'historien professionnel. Hartog recrée le contexte sulfureux et ô combien déroutant de la guerre de 1870 qui annonce une entrée fracassante des intellectuels dans le débat public et surtout dans l'enseignement public puisque les vaincus estiment que l'Allemagne a remporté la guerre grâce à son esprit et qu'au contraire la France s'est sabordée par ses carences morales et intellectuelles.

Profondément touché comme tous les hommes de lettres de sa génération, Fustel se lance éperdument dans l'histoire afin de trouver des réponses aux malheurs du présent. Il va élaborer ses théories et mettre au point des méthodes dites "scientifiques" afin de redorer le blason d'une nation humiliée. Homme de droite, conservateur et partisan de l'Ancien Régime, il se dit pourtant proche d'un libéralisme qu'il veut modéré. Fustel exècre son maudit siècle mais aussi la Révolution de 1789 qui est l'événement déclencheur du long déclin de la France éternelle.

Son activisme ascétique et sa froideur de façade répondent à ses convictions philosophiques au sujet de son métier de "scientifique". La France s'est effondrée en raison de son immaturité politique et du désordre insufflé par le vent démocratique et la République. Il s'agit alors de donner l'exemple au peuple et à la jeunesse par un comportement grave et responsable inspiré de la Raison. Fustel vole au secours de la Nation en péril. Il s'évertue à lui redonner son prestige d'antan par l'Histoire, à mobiliser à nouveau les âmes françaises égarées, à distiller un nouveau respect du traditionalisme, des élites, des valeurs ancestrales de la France c'est-à-dire principalement sa noblesse et sa religion. Le livre de François Hartog insiste sur l'apport de l'historien en mythes nationaux même si on peut regretter que la notion scientifique "d'objectivité" n'y soit pas suffisamment traitée. L'auteur a le mérite de proposer une première ébauche d'analyse d'un itinéraire intellectuel au coeur du développement de l'Histoire en tant que champ scientifique, à l'instar de ce que poursuivra Gabriel Monod, même si les deux hommes se sont affrontés sur ces principes et sur la validité rationnelle de leur domaine.

On peut lire avec intérêt la deuxième partie de l'ouvrage qui est un recueil de textes contemporains de l'historien mort en 1889 avec notamment ses Essais historiques sur la guerre de 1870 ou encore la Révolution, particulièrement éclairants sur la doctrine traditionaliste et les enjeux idéologiques fondamentaux d'un temps de construction de la société moderne du XXe siècle.


Dominique Margairaz
( Mis en ligne le 07/06/2002 )
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