L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Le stalinisme au quotidien
de Sheila Fitzpatrick
Flammarion 2002 /  22 €- 144.1  ffr. / 415 pages
ISBN : 2082100502

Le petit Staline illustré

La traduction en français d’un ouvrage de Sheila Fitzpatrick est assurément un événement. Chef de file avec J. Arch Getty de l’école «révisionniste» américaine sur l’histoire soviétique, elle est de ces historiens qui ont privilégié l’étude de la société soviétique «par le bas». Il s’agissait de mettre en évidence l’autonomie de la société russe après la révolution d’Octobre sans pour autant négliger la singularité politique du pouvoir soviétique, les pratiques de terreur, la bureaucratisation de l’Etat et le contrôle idéologique. Sa rivale, l’école «totalitariste», avait plus largement mis en évidence ses aspects dans le contexte de la guerre froide.

Cet ouvrage tente sinon un dépassement de la querelle d’école, d’en nuancer les approches. S’appuyant sur des archives soviétiques, l’auteur décrit une société violée par le stalinisme à la fin des années 20 et qui tente de survivre, de se recomposer face à un Etat hybride d’un genre bien particulier. Un grand essai d’histoire sociale.

Grâce aux nouvelles sources disponibles dans les archives de l’U.R.S.S. (lettres, pétitions, rapports d’administrations locales, dénonciations, etc.) Sheila Fitzpatrick montre comment, après la NEP, la société soviétique aborde et traverse la tourmente du stalinisme avant la guerre. Deux attitudes se développent de façon consécutives en réaction de l’emprise du Parti-Etat repris en main par Staline et son équipe. D’une part, on constate l’apparition d’une forme d’autonomie, de repli sur soi des individus, parfois d’une résistance passive qui devient vite dangereuse. D’autre part, les modalités d’intégration et d’adaptation prennent des formes variées. Ainsi, les hiérarchies nouvelles de la bureaucratie soviétique en plein essor, les systèmes de promotions et d’honneur mis en place par le pouvoir favorisent bien des reclassements et la recomposition sociale. Par ailleurs, la création de formes inédites de vie collective comme la réactivation de pratiques plus anciennes (en particulier dans le domaine de la culture) offre les cadres nécessaires au maintien et au développement d’une société désorientée par les bouleversements de la postérité révolutionnaire. Ici, à sa manière, l’Etat soviétique se fait Etat-Providence.

Cependant, le coût humain est considérable. Si Sheila Fitzpatrick fait le choix de la société urbaine russe, elle s’en explique dès l’introduction : la campagne a payé pour la ville et l’industrialisation. Si la famine décime la population rurale, les villes russes, elles, découvriront la pénurie chronique. La ville, lieu de la modernité soviétique, de l’industrie, du prolétariat et du pouvoir communiste, concentre l’histoire ambiguë du totalitarisme stalinien. Soumise à une tension permanente, la société soviétique des années trente offre plusieurs visages, celui d’une prison, du Goulag ou d’une caserne, celui d’une école disciplinée où se forme l’homme nouveau, celui, enfin, de la vie quotidienne où à la pénurie répondent des solidarités familiales, une aide sociale chaotique. C’est ce dernier visage qu’a choisi Sheila Fitzpatrick pour nous présenter la Russie soviétique des années de fer.

Pascal Cauchy
( Mis en ligne le 30/01/2003 )
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