L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Le Voyage en Egypte - De Bonaparte à l’occupation anglaise
de Sarga Moussa
Robert Laffont - Bouquins 2004 /  29 €- 189.95  ffr. / 1110 pages
ISBN : 2-221-08742-9
FORMAT : 13x20 cm

L'auteur du compte rendu: maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université de Paris-I, Sylvain Venayre a récemment publié La Gloire de l'aventure. Genèse d'une mystique moderne.
1850-1940
(Aubier, 2002).


Egypte,

Dans l’excellente collection «Bouquins» des éditions Robert Laffont, faisant suite à l’anthologie de récits de voyages en Orient publiée en 1985 par Jean-Claude Berchet (d’ailleurs rééditée chez Phébus en 2002), voici donc une anthologie de récits de voyage en Egypte, «de Bonaparte à l’occupation anglaise», c’est-à-dire sur un long XIXe siècle, allant de 1798 à 1914.
Les extraits en ont été réunis par Sarga Moussa, un des plus grands spécialistes actuels du récit de voyage en Orient, auteur en 1995 du remarquable La Relation orientale. Enquête sur la communication dans les récits de voyage en Orient. 1811-1861 (Klincksieck), puis en 2000 d’une édition commentée du Voyage en Orient d’Alphonse de Lamartine (Champion).

On ne peut que louer l’entreprise. Considérons déjà le choix des textes retenus. D’abord, Sarga Moussa a su éviter la fausse facilité qui aurait consisté à valoriser les auteurs les plus connus (Flaubert ou Nerval), dont les textes sont aujourd’hui très accessibles. Ensuite, il ne s’est pas cantonné au seul domaine français, au motif que l’ouvrage s’adresserait d’abord au public francophone et que l’Egypte serait, pour reprendre l’expression de Robert Solé, une «passion française». Sarga Moussa souligne en effet dans sa préface que les auteurs de récits de voyages du XIXe siècle lisaient volontiers la littérature étrangère, que leurs propres textes s’inspiraient de textes étrangers ou qu’ils leur répondaient — et qu’à ce titre il serait absurde d’établir une anthologie qui n’aurait pour frontières que les limites de traditions nationales figées postérieurement. A quoi s’ajoute le fait que certains auteurs sont si connus en Angleterre (Amelia Edwards, par exemple), ou en Allemagne (le prince de Pückler-Muskau) qu’il serait dommage que le public français en ignorât l’existence. Cet oubli est dorénavant réparé, grâce notamment au gros travail de traduction fourni ici par Sarga Moussa et la germaniste Kaja Antonowicz. Enfin, on doit remarquer qu’un cinquième des textes publiés ici sont le fait de voyageuses — ce qui est beaucoup plus que la part traditionnellement accordée aux femmes dans les anthologies, et qui témoigne de l’intérêt nouveau accordé par les littéraires et les historiens au voyage féminin au XIXe siècle. On le voit bien : par la diversité des choix opérés, cette anthologie marque sans doute une étape importante dans l’histoire du genre.

Il faut également faire remarquer l’admirable présentation pédagogique de l’ouvrage, qui s’ouvre par une présentation synthétique du voyage-type en Egypte au XIXe siècle et s’achève par des notices bio-bibliographiques de chacun des voyageurs cité ici — notices très complètes, originales, centrées autour des raisons qui justifient la présence du personnage dans cet ouvrage ; notices qui seront un formidable outil pour tous ceux qui entreprendront de travailler sur le voyage en Egypte à l’avenir. Quant aux extraits eux-mêmes, composés de textes de deux à dix pages, ils sont systématiquement précédés d’une petite notice permettant de les contextualiser dans l’époque où ils furent écrits, dans le livre dont ils proviennent et enfin dans la logique même de l’anthologie. Celle-ci se subdivise en effet en trois grandes parties : la première présente les «itinéraires» des voyageurs (textes sur Alexandrie et le Delta, Le Caire et Héliopolis, Guizeh et Sakkara, Port-Saïd, Ismaïlia et Suez, le Nil, l’ancienne Thèbes, la Nubie, le Sinaï, le désert arabique, le désert libyque et ses oasis) ; la seconde comprend les observations que ceux-ci ont faites à l’occasion de leurs «rencontres» (sur les différents groupes ethniques, les fellahs, les esclaves, la vie quotidienne, les fêtes, rites et croyances, les religions, le harem et les almées) ; la troisième enfin regroupe les notations concernant la «modernité» de l’Egypte (de la figure de Méhémet-Ali aux textes des saint-simoniens français en Egypte, de l’expression du sentiment de la fin de l’Orient authentique à l’indignation face à l’exploitation du peuple égyptien, de l’évolution des paysages aux rapports avec l’Occident en général et aux progrès de l’occupation anglaise en particulier).

Au total, on suit les préoccupations de tous ces voyageurs, non seulement dans leur unité — que de sentiments communs, ainsi que le relève Sarga Moussa dans son introduction ! —, mais surtout dans leur diversité : diversité d’appréciation parfois, diversité d’écriture surtout, qui donne toute sa saveur à cette anthologie. On suit également l’évolution de l’image de l’Egypte en Occident tout au long du XIXe siècle, qu’on aurait envie de résumer par la figure du Pharaon : cette Egypte est d’abord l’antique terre de Pharaons de mieux en mieux connus (ici, le lecteur curieux trouvera notamment des textes d’authentiques égyptologues, à commencer par Champollion) ; elle est ensuite la terre du Pharaon moderne Méhémet-Ali qui, à l’instar des anciens maîtres de l’Egypte, affame son peuple en même temps qu’il modernise son pays ; elle est enfin la terre de celui que Blanche Lee Childe nomme le «véritable pharaon de l’Egypte moderne, le sieur Thomas Cook», l’inventeur des voyages organisés. De fait, des savants de l’expédition d’Egypte aux touristes de la Belle Epoque, cette anthologie est aussi une belle leçon d’histoire du voyage au XIXe siècle.

Sylvain Venayre
( Mis en ligne le 23/01/2004 )
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