L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

La Guerre d'Espagne et ses lendemains
de Bartolomé Bennassar
Perrin 2004 /  24 €- 157.2  ffr. / 548 pages
ISBN : 2-262-02001-9
FORMAT : 16x24 cm

L'auteur du compte rendu : Thérèse Krempp mène une recherche en doctorat à l'Ecole des hautes études en sciences sociales sur l'armée française d'Orient pendant la Première Guerre mondiale. Avec Jean-Noël Grandhomme, elle a publié Charles de Rose, pionnier de l'aviation de chasse (éditions de la Nuée Bleue, septembre 2003).

Modèle stalinien contre national-catholicisme

La guerre civile d’Espagne : sujet douloureux et particulièrement difficile à traiter car les faits, à l’instant même où ils se sont réalisés, ont donné lieu à une production littéraire immense qui peut dans certains cas fausser notre jugement. Quelques vingt ans après la fin de la guerre, des centres d’archives, d’une grande richesse, se sont ouverts et sont désormais accessibles au chercheur. Sans négliger l’apport des historiens anglo-saxons, on peut dire que l’historiographie de la guerre d’Espagne est, depuis 1975, essentiellement espagnole, mais elle reste encore souvent marquée «du sceau de la passion».

Quantitativement, la contribution française a été relativement faible. Bartolomé Bennassar, grand spécialiste de l’Espagne, nous propose ici une étude conséquente de la guerre et de ses lendemains, et manifeste le désir de s’en tenir aux faits attestés. Désireux de retrouver les réalités quotidiennes, il nous présente les disparités régionales ainsi que l’extraordinaire complexité de la situation politique et sociale de l’Espagne durant cette période, nous permettant ainsi de préciser, nuancer et modifier notre vision de cette guerre et nos aprioris souvent trop simplistes.

L’auteur commence son ouvrage par un rappel historique des crises de la IIe République espagnole, qui amenèrent son effondrement et la marche à la guerre. En effet, même si les années 1931-1936 ont vu une «floraison culturelle étonnante», il ne faut pas oublier les difficultés de cette période. Le président Azaña, qui voulaient réformer en profondeur la société, eut la maladresse d’imposer ses réformes de manière très violente, sans tenir compte de la nécessité d’instaurer des étapes intermédiaires, qui auraient pourtant été indispensables, suscitant ainsi nombre de mécontentements. Notons aussi qu’il fut dans l’incapacité de proposer aux paysans une réforme agraire satisfaisante. De ce fait, débordée à la fois par l’extrême-gauche (soulèvements populaires sanglants) et la droite, la IIe République, nous montre Bartolomé Bennassar, ne parvint jamais à assurer «l’ordre constitutionnel ni l’ordre public».

La suite de l’ouvrage est divisée en trois grandes parties. La première est consacrée à la guerre proprement dite. Malgré la victoire, «étriquée» et en partie frauduleuse, du Front populaire aux élections du 16 février 1936, les violences de rue, grèves à répétition et sabotages furent loin de s’arrêter et la multitude des idéologies de gauche (républicains, socialistes, communistes, anarchistes entre autres) ne faisait que compliquer la tâche du gouvernement. Son incapacité à faire régner l’ordre public exaspéra les bourgeois, les petits propriétaires, les artisans ainsi qu’une bonne partie de l’armée. Avant les élections de 1936, le gouvernement avait étroitement collaboré avec l’armée (Franco avait été nommé général de division et chef d’état-major central et Mola, gouverneur général au Maroc), et le budget de l’armée avait été augmenté. La victoire du Front populaire remit très vite en cause la position des officiers et ces derniers furent écartés du gouvernement. Ils décidèrent alors de préparer un pronunciamento et Mola demanda à Franco de rallier leur cause. Celui-ci commença par refuser mais l’assassinat de Calvo Sotelo, chef du Bloc national, détermina à la fois la date du soulèvement (18 juillet 1936) et l’engagement de Franco. Notons que l’armée ne répondit pas massivement à l’appel des conspirateurs, contrairement à une idée reçue.

Bartolomé Bennassar nous présente ensuite les différentes phases du coup d’état engagé simultanément dans plusieurs régions. Le 24 juillet, l’Espagne se retrouva coupée en deux : le gouvernement conservait le contrôle de la moitié du territoire et des trois cinquièmes de la population. Commença alors une guerre sans merci dans laquelle les Républicains, mal organisés, se montrèrent totalement ignorants des tactiques du combat en rase campagne (les anarchistes, par nature hostiles à toute discipline, et les milices ouvrières, étaient en effet plus habitués au combat de rue).

Pour bien comprendre l’ampleur des massacres et des exécutions perpétrés à l’arrière il faut savoir qu’ils ont fait beaucoup plus de victimes que les opérations militaires. Ecclésiastiques, commerçants, cadres, propriétaires fonciers et militaires étaient les premières cibles des républicains. Les nationalistes, quant à eux, s’en prenaient aux communistes. A Madrid la répression, très violente, était orchestrée par un système policier sous contrôle communiste et assisté d’adjoints soviétiques. Plusieurs intellectuels qui avaient pourtant soutenu la République furent obligés de fuir. A côté du récit détaillé du conflit (bataille de Madrid, campagne du Nord, bataille de l’Ebre), l’auteur étudie l’internationalisation du conflit jusqu’à l’effondrement de la République en mars 1937.

Dans la deuxième partie de son ouvrage, intitulée «Le laboratoire du siècle», Bartolomé Bennassar analyse la course aux armements des deux camps et nous montre combien le conflit espagnol se transforma en champ expérimental pour les armes et les tactiques militaires. Les deux régimes en présence sont ensuite analysés. Le Front populaire adopta rapidement un «modèle stalinien» et le Franquisme, rejetant une «tentation fasciste» due à la Phalange – qui fut utilisée au début de la guerre malgré les réticences de Franco – s’orienta, et ce jusqu’à la fin du régime, vers un «national-catholicisme». Enfin, «laboratoire du siècle», l’Espagne le fut également en ce qui concerne le mensonge politique (désinformation, manipulations, propagande) comme nous le montre le dernier chapitre de cette partie.

La dernière partie de l’ouvrage est consacrée aux lendemains de la guerre (1939-1942), à l’exil des nombreux espagnols qui se réfugièrent en France pour une grande partie (mais aussi en Belgique, en Grande-Bretagne, en U.R.S.S. et en Amérique Latine). Le phénomène des «camps de concentration», la reconstruction des forces politiques en exil sont étudiés, tout comme la vie quotidienne des exilés et leur rôle dans l'économie française. L’auteur développe également le concept «d’exil intérieur» pour les républicains restés en Espagne et victimes de la répression franquiste.

Pour mener à bien son analyse, Bartolomé Bennassar s’est plongé dans les archives, dans l’immense production historique consacrée au sujet ainsi que dans de nombreux témoignages contemporains des évènements. Cette rigoureuse recherche nous permet de démythifier quelque peu la République espagnole qui a peut-être bénéficié d’une image un peu trop positive en France durant les dernières décennies. Comme le souligne Bartolomé Bennassar, le moment semble venu de sortir des visions passionnelles pour pouvoir enfin jeter un regard historique et objectif sur cette période tragique.

Thérèse Krempp
( Mis en ligne le 14/12/2004 )
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