L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Comprendre le XXe siècle français
de Jean-François Sirinelli
Fayard 2005 /  26 €- 170.3  ffr. / 527 pages
ISBN : 2-213-62608-1
FORMAT : 15,5cm x 23,5cm

L'auteur du compte rendu ; David-Jonathan Benrubi, élève à l'école des chartes, président de l'Association historique des élèves du lycée Henri IV, poursuit, sous la direction de MM. Bruno Laurioux et Michel Pastoureau, des recherches sur les représentations des banquets au Moyen Age : «Représentations symboliques de la commensalité et de la table au Moyen Age».

L'un des pionniers de l'histoire culturelle

Quels impacts a pu avoir l’enseignement d’Emile Chartier, alias Alain, sur l’attitude de ses élèves devant la montée du nazisme ? Jean-Paul Sartre a-t-il vraiment attendu le choc de la Seconde Guerre mondiale pour faire sa «rencontre avec l’Histoire» ? Comment l’antagonisme des mouvements gaulliste et communiste a-t-il pu structurer le champ de l’engagement politique des intellectuels au début de la guerre froide ? Une mémoire de l’affaire Dreyfus a-t-elle joué un rôle dans la réception de la Guerre d’Algérie dans les opinions publiques françaises ?

Ces questions, parmi d’autres, ont jalonné le travail d’un des grands noms de Sciences Po, qu’il est inutile de présenter, Jean-François Sirinelli. Son œuvre, qui a été, surtout chez les contemporanéistes, pionnière dans la promotion d’une histoire culturelle maintenant très à la mode, a trouvé sa première originalité dans un glissement de l’histoire intellectuelle vers l’histoire des intellectuels : dans l’écart entre les idées et les professionnels des idées, surgissent de nombreuses questions relatives à leur contexte d’apparition (histoire sociale), leur formulation (histoire littéraire), leur circulation (histoire des médias), leur réception (histoire des opinions) etc., qui se résument dans cette définition englobante de l’histoire culturelle : «comment les hommes représentent et se représentent-ils le monde qui les entoure ?» (p.409).

La recherche se caractérise notamment par la mise en oeuvre d’outils et de concepts développés, pour la plupart, dans ce qui demeurera sans doute comme la pièce essentielle de la contribution de M. Sirinelli au champ considéré : sa thèse célèbre sur les Khâgneux et Khâgnes des années vingt, commencée dans les années 1970, soutenue à Nanterre en 1986 et publiée deux ans plus tard chez Fayard. En particulier, les notions de trajectoire personnelle, de métabolisme propre d’une pensée, de phénomènes mémoriels, et – ce qui symbolise peut-être le mieux la griffe de l’auteur – le concept de génération intellectuelle, permettent de rappeler sans cesse que l’histoire culturelle doit s’inscrire dans l’épaisseur du temps. Tout cela est passionnant, et exposé clairement, malgré de désagréables tendances à la répétition et à l’autocitation infrapaginale (qu'en est-il des collègues et des étudiants?).

Les éditions Fayard proposent à la rentrée 2005, dans un livre intitulé Comprendre le Vingtième Siècle français, une juxtaposition d’articles de Jean-François Sirinelli. On ne peut que se féliciter à chaque fois qu’un éditeur entreprend de rendre plus accessible, y compris sur le plan financier, l’œuvre disséminée d’un historien majeur. Cela dispense-t-il pour autant d’un travail éditorial ?

Il s’agit de vingt-sept articles, distribués pour la forme dans cinq parties un peu thématiques et un peu chronologiques. La seule pièce inédite est une introduction par l’auteur lui-même, qui s’efforce d’étudier la trajectoire et le métabolisme de sa propre pensée, depuis sa maîtrise d’histoire grecque jusqu’à nos jours, en les replaçant par endroits dans le contexte plus large de l’évolution des sciences humaines. Pour être plus exact, dans le contexte pas si large d’une histoire de l’histoire culturelle que Jean-François Sirinelli tend, semble-t-il, à vouloir incarner à lui seul (rarissimes sont les références à l’œuvre d’autres historiens, quand on eût, sans pour autant contester la primauté de M. Sirinelli, attendu dans le bas des pages : MM. Ory, Berstein, Rousso…, et pas uniquement lorsqu’ils ont édité ou co-écrit une publication de l’auteur). Le serpent se mord la queue. Pourtant l’auteur exprime dès la première page une certaine réticence à l’égo-histoire. De tout cela, une des plus paradoxales conséquences est que ce texte est à la lisière d’opérer un retour de bâton, de l’histoire des intellectuels à l’histoire intellectuelle d’une pensée donnée. Par exemple, si de nombreuses personnes savent que Jean-François est le fils de Jean Sirinelli, grand helléniste, le lecteur moins averti ne pourra pas procéder, au sujet de J.-F. S., au type de mise en perspective générationnelle et sociale de l’intellectuel, que l’auteur lui-même développe pour les grands noms de la génération 1905.

La présentation des articles dans leur état virginal va au demeurant dans le même sens. Aucune mise à jour des notes (on trouve des «à paraître» renvoyant à l’article suivant). Aucune bibliographie, sinon la liste des ouvrages et articles publiés par l’auteur. Combien intéressant eût été un glossaire des concepts ! Le minimum n’eût-il pas été que l’auteur revienne sur ses textes, pour prendre acte de l’évolution de la recherche dans les innombrables séminaires d’histoire contemporaine, depuis leurs publications ?

Le choix des articles est lui-même parfois critiquable. Quelques textes font doublon, notamment les incessantes «réflexions» sur l’histoire culturelle qui tendent plus à marteler la vérité de la nécessaire centralité de l’histoire culturelle dans l’histoire tout court, notamment dans celle du temps présent (il s’agit ici des années soixante à 2001), qu’à en discuter les fondements (le début de l’article sur la «France des sixties revisitée» est à cet égard exemplaire). Tandis que, par exemple, l’article sur André Bellessort, maintes fois cité et fort désirable, qui contient la typologie des professeurs et la définition de l’«éveilleur», est absent.

Mais qui refoule l’agacement terrible suscité par la découverte qu’il a acquis, pour une somme abordable il est vrai, un fichier word produit par des opérations de copier-coller, ne peut que se féliciter d’avoir à disposition une somme de textes toujours bien écrits, souvent avec brio, qui synthétisent de nombreux aspects des champs défrichés par Jean-François Sirinelli. Bref, l’étudiant a tout intérêt à se procurer cet ouvrage qui est probablement destiné à devenir une bible de l’histoire contemporaine parmi d’autres.

David-Jonathan Benrubi
( Mis en ligne le 09/11/2005 )
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