L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Le Cléricalisme ? Voilà l'ennemi ! - Un siècle de guerre de religion en France
de Jérôme Grévy
Armand Colin - Les enjeux de l'histoire 2005 /  22 €- 144.1  ffr. / 247 pages
ISBN : 2-200-26966-8
FORMAT : 16x24 cm

L'auteur du compte rendu : Nicolas Champ est agrégé d'histoire et allocataire-moniteur en histoire contemporaine à l'Université Michel de Montaigne Bordeaux 3.

La colonne du temple de l’identité républicaine

La commémoration de la loi de 1905 a provoqué une floraison de publications. Celle de J. Grévy s’inscrit pour partie dans ce mouvement. Pour partie seulement, car le propos est plus large ; il s’agit d’étudier les relations tumultueuses entretenues entre l’Eglise catholique et l’Etat républicain. Ce travail s’insère donc dans une tradition historiographique ancienne, qui remonte à l’époque même du sujet traité avec, par exemple, les ouvrages d’Antonin Debidour publiés au lendemain de la Séparation.

Nous pourrions donc nous attendre à un ouvrage de plus sur un sujet largement connu. Il n’en est rien. L’auteur, puisant dans des sources très variées, offre une histoire originale des imaginaires, des représentations qui ont conduit à façonner les «deux France» et à aboutir à la Séparation, ce qui ne l’empêche pas d’ailleurs de présenter des aspects de la question déjà bien connus. Se destinant à un public dépassant le monde universitaire, l’auteur présente dans un chapitre liminaire une bonne synthèse sur le dynamisme du catholicisme en France au XIXe siècle avant d’entrer dans le vif du sujet. Pour l’auteur, en effet, il est tout aussi important d’étudier la politique anticléricale des Républicains au pouvoir ou les manifestations hostiles à la République des catholiques que de mettre à jour les images, les représentations, les mentalités qui sont à l’origine de ces mesures et de ces manifestations. Dans cette perspective est analysée avec bonheur «l’imaginaire ecclésial des anticléricaux» au travers, plus particulièrement, de la pensée d’Edgar Quinet. J. Grévy propose également une lecture stimulante des commémorations religieuses de 1895, à l’occasion du 800e anniversaire de l’appel à la première croisade.

Des pages plus classiques mais très claires font une bonne mise au point sur la politique religieuse de la Troisième République : d’une part, application de plus en plus stricte de la lettre du concordat et d’autre part, laïcisation progressive de l’espace public où les clercs s’étaient immiscés. Ces chapitres permettent d’ailleurs à l’auteur de bien remettre en perspective la loi de 1905 en insistant sur la multiplicité des lectures qu’il était possible d’en faire : si son application fut «libérale», comme l’entendait Briand, J. Grévy montre qu’une interprétation plus anticléricale pouvait en être faite. Le dernier chapitre s’intéresse d’ailleurs finement aux errances de la mémoire politique et historiographique de la loi : d’un événement considéré jadis comme secondaire dans les histoires de la Troisième République, elle est devenue aujourd’hui sur la place publique une «colonne du temple» de l’identité républicaine, même si, là encore, son interprétation fait débat…

En s’appuyant principalement sur la riche documentation des Archives diocésaines de Poitiers, l’auteur nous propose une lecture des inventaires faisant la part belle aux objectifs des acteurs. Si J. Grévy rappelle que le but des républicains était de démontrer la subordination du religieux par le politique, il émet l’hypothèse séduisante selon laquelle celui des clercs était essentiellement spirituel. La résistance à l’inventaire n’est pas interprétée par eux comme insurrection ou révolte mais comme mise à l’épreuve de la foi des fidèles.

Nous avons jusqu’ici souligné les qualités de l’ouvrage, il conviendrait d’exprimer néanmoins quelques regrets. Regrettons tout d’abord le titre un peu trompeur : même si Jérôme Grévy rappelle à plusieurs reprises des événements ou des idées antérieurs, l’essentiel de l’ouvrage examine les premières décennies de la Troisième République et non «un siècle». Des erreurs typographiques gênantes ont été commises : ce n’est pas un Mgr Kettel (p.15) qui se fit connaître par ses initiatives à l’égard des ouvriers, mais Mgr Ketteler ; la date de l’encyclique Inter Multiplices est 1853 et non 1843 (p.22). Sénateur, Emile Combes n’a jamais été député (p.157). La variation des échelles d’analyse, en passant du niveau national au niveau local comme la présentation successive de la vision «républicaine» et de la vision «catholique» des mêmes événements étaient éminemment souhaitables et comportent de réelles vertus didactiques. Toutefois, cela amène parfois au fil de la lecture l’impression d’une répétition, par exemple lors de l’analyse de l’expulsion des congrégations en 1880 que nous trouvons longuement à deux reprises (pp.85-92 et pp.118-125).

Bref, de bien légères erreurs face à la qualité de cette synthèse. Grâce à une écriture élégante, ne se contentant pas d’une «histoire d’en haut» et en se montrant soucieux d’incarner cette histoire en insistant sur les répercussions locales des décisions parisiennes, l’auteur réussit au final à restituer toute l’épaisseur des conflits religieux des premières décennies de la Troisième République.

Nicolas Champ
( Mis en ligne le 24/11/2005 )
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