L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

De la guerre
de Carl von Clausewitz
Perrin - Tempus 2006 /  10.50 €- 68.78  ffr. / 427 pages
ISBN : 2-262-02458-8
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Adaptation de Gérard Chaliand.

Traduction de Laurent Murawiec.

L'auteur du compte rendu : Agrégé d’histoire et titulaire d’un DESS d’études stratégiques (Paris XIII), Antoine Picardat est professeur en lycée et maître de conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Ancien chargé de cours à l’Institut catholique de Paris, à l’université de Marne la Vallée et ATER en histoire à l’IEP de Lille, il a également été analyste de politique internationale au ministère de la Défense.


Penser (toujours) la guerre

Il y a plusieurs façons de marquer l’histoire : principalement en la faisant ou bien en la pensant. Carl von Clausewitz n’a été qu’un acteur modeste de l’histoire, et il ne l’a certainement pas marquée en la faisant. Il fut tout d’abord un jeune officier de l’armée prussienne, emporté dans le désastre de Iéna et Auerstadt en 1806. Après une brève captivité, il travailla au côté de Sharnhorst à la réorganisation de l’armée prussienne, dans la perspective de la revanche. Refusant toute collaboration avec la France, il passa en 1812 au service de la Russie et combattit Napoléon jusqu’en 1815 et la campagne de Waterloo.

Les grands événements auxquels il participa lui fournirent la matière à une immense réflexion théorique et pratique sur la stratégie et la guerre. Il publia des études sur différentes campagnes des guerres de la Révolution et de l’Empire et il travailla pendant quinze ans à un maître-livre qui fut publié inachevé en 1832, un an après sa mort du choléra.

De la guerre est un ouvrage hors-normes, qui opéra une révolution dans la manière de penser la guerre, et qui contribua beaucoup à modifier la façon de la faire. C’est incontestablement à ce titre que Clausewitz a marqué l’histoire, non seulement celle de la pensée, mais aussi celle de la pensée appliquée. Son apport est bien connu : dans un style difficile, il renonce aux approches uniquement descriptives des campagnes et des batailles, pour penser la guerre dans sa globalité, notamment à travers son rapport à la politique. Comme beaucoup de ses contemporains, il avait été frappé par le lien existant entre la Révolution et les victoires des armées françaises. Autrement dit entre la politique, ici la libération des forces morales d’un peuple transformé en nation, et la stratégie opérative. Quelques formules, devenues classiques, résument sa pensée dans ce domaine : «La guerre est donc un acte de violence dont l’objet est de contraindre l’adversaire à se plier à notre volonté», «un instrument politique, une continuation des rapports politiques, la réalisation des rapports politiques par d’autres moyens». Mais il ne se contente pas de ce qui nous semble aujourd’hui être des lieux-communs. Il cherche à élaborer une théorie générale permettant de conceptualiser le phénomène dans son ensemble et dans ses aspects principaux que sont les forces morales, la stratégie, l’engagement, les forces armées, la défensive, l’offensive et le plan de guerre.

Quel intérêt y-a-t-il aujourd’hui à lire Clausewitz ? Pour l’historien, la réponse est évidente : il marque une étape majeure de l’histoire de la pensée stratégique. Il témoigne, au même titre que Hegel par exemple, du bouleversement provoqué par la Révolution dans l’ordre politique, ici vu sous l’angle de la guerre. Il est, avec Jomini, l’un des meilleurs analystes des campagnes militaires de l’époque. Mais tout cela peut justement vouloir dire que Clausewitz est dépassé. Comme le fait remarquer Gérard Chaliand dans sa présentation, ses considérations proprement opérationnelles ne présentent plus guère d’intérêt aujourd’hui où l'on ne fait plus la guerre comme la faisaient Frédéric le Grand ou Napoléon.

Malgré tout, Clausewitz a fasciné plusieurs générations de lecteurs, de von Moltke, le vainqueur de Sedan, à Raymond Aron (Penser la guerre, 2 tomes, 1976), au cours d’un long siècle qui a semblé confirmer en tous points ses vues, sur les rapports entre politique et guerre et sur la nécessité pour les États de mobiliser les ressources morales de la nation pour conduire un conflit. Certains, notamment l’Anglais Liddell Hart, l’on d’ailleurs accusé d’avoir ainsi conduit à l’esprit d’offensive à outrance et de combat sans merci qui a marqué la Première Guerre mondiale.

Aujourd’hui, les problématiques du nucléaire ou celles des conflits et guerres asymétriques peuvent être appréhendées à partir de De la guerre. Il est toujours indispensable de réfléchir au rapport entre politique et guerre. Les déconvenues américaines en Irak, les frustrations israéliennes au Liban ou les hésitations de l’Europe nous rappellent que l’on ne saurait penser l’un sans l’autre. Dans ce domaine, Clausewitz reste, parmi d’autres plus récents, un auteur à la fois actuel et indispensable.

Antoine Picardat
( Mis en ligne le 11/09/2006 )
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