L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Rêves d'aventures - 1800-1940
de Sylvain Venayre
La Martinière 2006 /  35 €- 229.25  ffr. / 221 pages
ISBN : 2-7324-3224-5
FORMAT : 19,0cm x 24,5cm

Sylvain Venayre collabore à Parutions.com.

L'auteur du compte rendu : Rachel Lauthelier-Mourier a soutenu en 2002 une thèse de doctorat intitulée "Géographie et rhétorique dans les récits de voyage en Orient à l'époque classique" (Paris IV-Université de Montréal). Elle est aujourd'hui Maître de Conférences à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE). Ses recherches portent sur le genre viatique et les transferts culturels (épistémologie en particulier).


Remplir le blanc des cartes

Définir ce qu’est l’aventure dans l’histoire des représentations n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire. Le mot, emprunté au latin populaire «adventura», a le sens de «destin» ou «hasard» au 11ème siècle, et est lié à la prédiction. Sens qui a subsisté jusqu’à nos jours dans l’expression la «bonne aventure». L’«aventure», c’est aussi l’événement inattendu, souvent dangereux, que le sort met sur notre chemin et qu’il faut surmonter. Et, par glissement sémantique, les «aventures» sont les actions extraordinaires des romans de chevalerie. Le mot conserve dans la langue classique l’idée du «hasard», c'est-à-dire ce qui expose à diverses aventures. Puis l’aventure devient, peu à peu, le «danger du voyage», l’«exploration de terres inconnues». De telle sorte que pour les modernes «avoir l’esprit d’aventure», c’est rechercher du nouveau et de l’extraordinaire.

Peut-on dire alors que le plus ancien des récits, L’Odyssée, est un récit d’aventures ? Dans ce cas Ulysse, qu’Homère nomme «l’homme aux mille tours», justement parce qu’il trouve toujours une ruse qui lui permet d’échapper à la «mauvaise aventure», serait un aventurier ? Ce n’est pas si simple : L’Odyssée est un récit de retour, une aventure, certes mais une aventure à rebours. Car le retour à la «maison», lieu de connaissance et d’appartenance, n’est certainement pas l’objectif premier de l’aventurier. Bien au contraire, l’aventure, c’est partir pour l’ailleurs, c’est quitter la parentèle pour l’autre, sans autre but que l’expérience brute de la rencontre. Il n’y a donc pas d’aventurier sans voyage, pas d’aventure sans horizon lointain. Mais cela ne saurait suffire : ni Colomb ni Magellan ne se définissent comme des aventuriers. Le voyage est au cœur d’un grand nombre d’ouvrages de la culture occidentale d’Ancien régime, d'abord parce qu’il est utile : il a des vertus pédagogiques et morales. Comme le disent déjà Juste Lipse au 16ème siècle ou François de la Mothe le Vayer sous Louis XIV, il sert la patrie, la religion et les sciences. En revanche l’aventure, telle que nous l’entendons aujourd’hui, n’a pas d’utilité réelle et objective. Elle est gratuite.

L’ouvrage de Sylvain Venayre, qui présente et analyse les représentations de l’aventure entre 1800 et 1940, éclaire justement ce glissement de sens : pour l’imaginaire collectif de la modernité, l’aventure devient peu à peu inutile. Ce n’est pas encore tout à fait évident au 19ème siècle : la propagande coloniale présente les explorateurs comme étant au service de la patrie, et la littérature de jeunesse exalte les scientifiques voyageurs. Les uns comme les autres sont qualifiés d’aventuriers. Pourtant, ne ressent-on pas déjà chez Jules Verne un goût de l’aventure pour elle-même ? Et avec Arthur Rimbaud ou Isabelle Eberhardt, nous ne doutons plus que la seule motivation du voyage soit l’aventure. Pour eux il faut partir, certes, mais surtout partir vers ces derniers «blancs» sur la mappemonde, aux confins de notre terre, qui recèlent encore du mystère. Fascinés, nous suivons leurs destins, et ceux de tant d’autres (Lawrence d’Arabie, Esther Stanhope, Conrad, Malraux, Saint-Exupéry…), hors du commun, souvent trop courts (et pour cause), mais entièrement consacrés au désir d’aventure.

Et comme le 19ème siècle est aussi celui des illustrations, ce livre leur est également consacré : 224 pages illustrées par 110 documents qui éclairent et prolongent le texte et l’analyse. Outre le fait qu’elle nous renseigne d’un point de vue théorique sur l’histoire des représentations de l’aventure, la savante compilation (très soigneusement maquettée) de Sylvain Venayre nous fait rêver. Quel bonheur de ressentir en tournant ces pages les frissons d’excitation qui nous parcouraient enfant à la lecture de Jules Verne, au moment où surgissaient du livre de surprenantes et fascinantes illustrations !

Nous nous félicitons que la collection d’Alain Corbin aux Editions de la Martinière ait permis de publier cet ouvrage qui éclairera et réjouira tous ceux qui se piquent de voyages, réels et imaginaires !

Rachel Lauthelier-Mourier
( Mis en ligne le 25/10/2006 )
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