L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Le carnaval des Halles - Une ethnocritique du Ventre de Paris de Zola
de Marie Scarpa
CNRS éditions 2000 /  22.9 €- 150  ffr. / 304 pages
ISBN : 2-271-05829-5

Les gras et les maigres

En proposant une "ethnocritique du Ventre de Paris", Marie Scarpa entend participer à une approche nouvelle de l’oeuvre de Zola : comme elle l’indique en conclusion, l’ethnocritique se situe "au confluent de plusieurs disciplines" et "veut rendre sensible à la polyphonie culturelle du texte". Autant dire que l’ethnocritique ne se pose pas en science nouvelle, fondée sur une méthode précise (l’expression "ethnologie de la littérature" employée par l’auteur paraît d’ailleurs trop ambitieuse) mais qu’elle entend offrir une analyse des textes littéraires à partir d’une recension des travaux établis dans d’autres disciplines (histoire, histoire de l’art, sociologie, ethnologie, anthropologie, etc.).


L’intérêt de cette démarche est d’offrir au néophyte, au gré de références piochées dans les ouvrages les plus divers, un panorama général des études réalisées sur un sujet, permettant ici une approche "décloisonnée", "interdisciplinaire" de l’oeuvre de Zola et, plus particulièrement, du Ventre de Paris. Le principal apport du travail de Marie Scarpa réside dans la présentation qu’elle fait de la bibliographie zolienne : l’auteur évoque l’approche sociologique des élèves de Bourdieu, qui ont vu en l’auteur des Rougon-Macquart le petit bourgeois soucieux de s’affranchir de ses origines par des sujets provocateurs, celles des émules de René Girard, qui ont décelé dans certains de ses héros la figure du bouc émissaire, celle enfin des historiens de la fête ou du carnaval, comme Alain Faure, qui ont su dénicher dans les vastes fresques brossées d’une main vigoureuse par l’ami de Manet le rappel de rituels hier immémoriaux, aujourd’hui bien oubliés.

Dans le détail, on pourra toutefois regretter des imprécisions qui nuisent à l’analyse proposée par l’auteur: les nouvelles Halles, commencées en 1851, ont-elles été "dues aux travaux lancés par le Baron Haussmann" ou encore "conçues par Baltard sous la houlette du baron Haussmann et de Napoléon III pour remplacer dès 1852 l’ancien marché des Innocents" alors qu’Haussmann n’a été nommé préfet de la Seine que le 22 juin 1853 ? De même, l’auteur fait parfois une lecture rapide et insuffisamment critique de la thèse de Jeanne Gaillard sur le Paris du Second Empire. Si l’habitat du centre de Paris était, au milieu du XIXe siècle, vétuste et insalubre, la population qui travaillait aux Halles n’était pas défavorisée mais occupait, au contraire, tous les degrés de l’échelle sociale : quel contraste entre un modeste commis de charcuterie et un riche "mandataire des Halles" ! Tous les niveaux de fortune se retrouvaient et se côtoyaient dans ce lieu étonnant, dont la diversité a évidemment plu à Zola. Une étude plus serrée de l’histoire des Halles aurait permis à l’auteur de mieux asseoir une de ses thèses - reprise de Henri Mitterand, l’éditeur des "carnets d’enquête" de Zola – selon laquelle Zola a adopté "une méthode de type ethnologique" pour préparer la rédaction du Ventre de Paris. C’est une des limites de tout travail de seconde main que de devoir reposer sur des écrits inexacts ou lacunaires.

C’est finalement du point de vue littéraire que l’étude de Marie Scarpa, et notamment ses derniers chapitres, est sans doute la plus neuve. Celle-ci s’efforce d’identifier dans le Ventre de Paris la présence de rites carnavalesques et, de fait, les pratiques du carnaval (inversions, grossissement, caricature, délires… mais aussi foule, rumeurs, personnalité collective) semblent dominer peut-être moins le Ventre de Paris que l’oeuvre de Zola toute entière. Car si Zola effectue bel et bien un véritable travail de documentation (dont la méthode, c’est-à-dire la prétention scientifique, apparaît limitée) avant de commencer ses ouvrages, c’est l’imagination qui prime son travail de rédaction. Mais son imagination n’est pas entièrement débridée : elle cherche à rendre compte de certaines pratiques populaires, comme le carnaval : c’est là une piste que Marie Scarpa a intelligemment ouverte et qu’elle semble parfaitement outillée pour continuer à fouiller…

Jean-Philippe Dumas
( Mis en ligne le 15/05/2001 )
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