L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Par le trou de la serrure - Une histoire de la pudeur publique (XIXe-XXIe siècle)
de Marcela Iacub
Fayard 2008 /  20 €- 131  ffr. / 352 pages
ISBN : 978-2-213-63399-2
FORMAT : 13,5cm x 21,5cm

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

Pudeur et Exhibition

Marcela Iacub est une juriste, chercheuse française, née en 1964 à Buenos Aires (Argentine). Fille d'avocat, elle se spécialise dans le droit du travail. En 1989, elle vient vivre à Paris où elle se spécialise dans la bioéthique. Après sa thèse de doctorat à l'EHESS, elle devient chercheuse au CNRS. Elle est membre associée au Centre d'étude des normes juridiques de l'EHESS.

Marcela Iacub s'est rendue célèbre par plusieurs livres, notamment Le Crime était presque sexuel. Elle se situe dans la tendance actuelle à la défense du droit à la prostitution, du mariage et de l'adoption pour les couples homosexuels, des méthodes de procréation artificielle, et elle s'inscrit à la fois dans la critique du féminisme français qu'elle juge trop moralisateur car demandant une extension toujours plus grande de la répression pénale. En cela, pour elle, la révolution sexuelle des années 1970 a été un échec partiel.

Dans ce nouveau livre, elle explore ce qui fait l'objet de l'article 330 du code pénal : l'outrage public à la pudeur. D'ailleurs, elle ne s'étonne guère de la disparition du mot même de pudeur comme si celui-ci pouvait paraître ringard et démodé. Aujourd'hui, il a disparu de nos codes pour être remplacé par celui de Sexe. En trois parties - "Construire et abolir le mur de la pudeur", "La libération visuelle des lieux publics et "La politique des espaces à l'heure du Sexe" -, Marcela Iacub analyse le passage sous le régime napoléonien de l'article 330 du code pénal (construction d'une pudeur publique) au nouvel article 222-32, en 1992, qui, lui, parle d’exhibition sexuelle.

On peut trouver délirant qu'une loi instaure une telle codification mais elle est nécessaire. Où finit le public et où commence le privé ? Que peut-on montrer, que doit-on cacher ? Ce sont là des questions cruciales. Pour comprendre une telle distinction, il faudrait revenir à ce qui fonde l'être humain en partie, précisément la pudeur, le fait d'être habillé et de cacher certaines parties du corps, dont le sexe. Exhiber ses parties génitales, c'est les banaliser et tuer finalement tout désir sexuel et tout trouble concernant la sexualité. Une fois que l'on a compris cela, le fait de qualifier d'attentat à la pudeur quelqu'un qui s'exhibe dans la rue prend tout son sens. Dès lors, une personne pudique n'est pas forcément puritaine ou "coincée", pas plus que l'inverse ne signale une forme de libération. C'est seulement qu'elle ne tient pas à montrer son sexe en public, ce qui n'est peut-être pas le cas en privé. L'article 330 du code pénal de 1810 séparait la sphère privée et la sphère publique. Le mur de la pudeur garantissait aux citoyens la jouissance pacifique de leur sexualité à la condition qu'elle reste cachée.

L'essai de Marcela Iacub, malgré des longueurs et des redites, analyse avec détails toutes les subtilités de cet article 330 ainsi que les jugements qui vinrent le remettre en cause. Au point qu'avec l'apparition de la libération sexuelle (la guerre du nu, le naturisme, l'apparition entre autres du monokini en 1964 par le couturier autrichien Gudi Gernreich), et d'artistes qui jouaient de cet article pour s'en moquer ou le transgresser, il déboucha sur une étrange conception : "L'absence de tout témoin ou le fait que celui-ci soit consentant fait des lieux publics des espaces dans lesquels la sexualité peut être exhibée, tandis que les témoins non consentants font des lieux privés des espaces dans lesquels la sexualité ne peut pas être exhibée. Dans le premier cas, le lieu public perd exceptionnellement son pouvoir de rendre illicite une exhibition, tout comme, dans le second cas, le lieu privé perd exceptionnellement sa capacité d'accueillir d'une manière licite une exhibition. La distinction des statuts des espaces public et privé reste donc entière, mais l'un peut acquérir exceptionnellement le statut de l'autre par la médiation du consentement ou de l'absence de consentement des témoins" (pp.274-275). C'est le cas des boîtes échangistes, par exemple, alors qu'un individu qui exhibe ses parties génitales dans la rue sera sous le coup de la loi.

C’est cette histoire que Marcela Iacub examine longuement. Pour elle, l'état exerce une emprise croissante sur notre sexualité mais elle oublie qu'une partie du public, à la suite de "la révolution sexuelle", ne songe plus qu'à jouir au point d'en faire une obsession et donc d'étaler sa sexualité en public. Étonnamment, Marcela Iacub ne s'étonne guère que le système pénal n'ait jamais condamné autant de personnes pour crimes et délits sexuels.

C’est le grand point faible de son essai. Si celui-ci est fort instructif, il ne parle guère de cette exhibition publique (télé-réalité, gay pride, etc.) qui prend de plus en plus d'essor au point de se banaliser, de s’établir dans le quotidien, et donc de gommer toute la poésie de la sexualité. Il y a là un phénomène fort troublant qui banalise le sexe et les sexualités, qui les libéralise même au point d'en faire de tristes marchandises alors que l'on pensait les libérer. En cette matière, rien ne va de soi. La "révolution sexuelle" n'est pas forcément un bienfait, de même qu'une répression délirante n'est jamais la meilleure solution.

Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 09/09/2008 )
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