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Les Intellectuels faussaires - Le triomphe médiatique des experts en mensonge
de Pascal Boniface
Jean-Claude Gawsewitch Éditeur 2011 /  19.90 €- 130.35  ffr. / 246 pages
ISBN : 978-2-350-13277-8
FORMAT : 13,5cm x 21,2cm

L'''esprit littéraire''...

Dans L’Ancien Régime et la Révolution, Tocqueville consacre quelques pages aux «gens de lettres». A cet égard, il écrit que la France est «parmi toutes les nations de l'Europe, la plus littéraire». Les intellectuels français, pensait-il, se différenciaient des gens de lettres allemands, cantonnés à la philosophie pure et aux belles lettres, et britanniques, quant à eux «mêlés journellement aux affaires».

D’après Tocqueville, les gens de lettres étaient en France exclus du pouvoir. «La condition même de ces écrivains les préparait à goûter les théories générales et abstraites en matière de gouvernement et à s'y confier aveuglément. Dans l'éloignement presque infini où ils vivaient de la pratique, aucune expérience ne venait tempérer les ardeurs de leur naturel ; rien ne les avertissait des obstacles que les faits existants pouvaient apporter aux réformes même les plus désirables ; ils n'avaient nulle idée des périls qui accompagnent toujours les révolutions les plus nécessaires. Ils ne les pressentaient même point ; car l'absence complète de toute liberté politique faisait que le monde des affaires ne leur était pas seulement mal connu, mais invisible». Le sort fait aux intellectuels français sous l’ancien régime expliquerait donc certains écueils de la Révolution française, car cette «même ignorance leur livrait l'oreille et le cœur de la foule».

L’«esprit littéraire», pour reprendre la formule tocquevillienne, est donc une singularité française. Les intellectuels font par ailleurs l’objet d’une attention particulière en France. Ils sont dotés d’une aura spécifique. Pourtant, les intellectuels ne seraient pas exempts de toute critique, comme Pascal Boniface tend à le démontrer dans son dernier et courageux livre intitulé Les Intellectuels faussaires. Le Triomphe médiatiques des experts en mensonge, paru aux éditions Jean-Claude Gawsewitch. Le prestige et l’éminence dont les intellectuels jouissent en France sont tels que son manuscrit fut refusé par rien de moins que quatorze maisons d’édition.

Directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et enseignant à l’Institut d’études européennes de l’université Paris VIII, P. Boniface explique dans son propos introductif que l’idée de ce livre a longtemps mûri dans son esprit avant qu’il passe à l’acte. L’ouvrage est le fruit de son indignation : «combien de fois ne me suis-je pas étonné, n’ai-je pas éprouvé un sentiment de colère ou de malaise, s’interroge-t-il, lorsque je constatais au cours d’un débat public qu’un expert proférait une contrevérité et que celle-ci passait comme une lettre à l’école ?» En l’espèce, l’essayiste n’évoque pas d’erreurs, mais des mensonges volontaires et assumés par leur auteur. «Dans ce cas, observe-t-il, le spécialiste invité pour éclairer le public le trahit et ne remplit pas sa mission».

Faisant purement et simplement fi de l’idéal de rigueur scientifique qui devrait normalement les animer, ces experts «n’ont pas de scrupules à employer des arguments de mauvaise foi, à énoncer des contrevérités, afin d’emporter la conviction». Leur culot parait sans borne et «constituer un atout». Ces experts sont même acclamés. Certes chacun n’est pas à l’abri d’une erreur, c’est entendu, mais «certains les accumulent sans que leur aura n’en souffre. Un sportif qui alignerait les contreperformances cesserait d’être sélectionné. Un expert peut enchaîner les erreurs en étant toujours invité sur les plateaux. Une fois mis sur orbite médiatique, on ne redescend pas sur terre».

Les «faussaires» constituent une autre catégorie d’experts : ils ne sont pas ceux qui se trompent, mais ceux qui trompent sciemment. Ils dupent le public en multipliant le recours à des arguments auxquels ils ne croient pas eux-mêmes, mais qui visent exclusivement à convaincre les téléspectateurs, auditeurs ou lecteurs. S’ils s’engagent parfois sincèrement pour telle ou telle cause, ils s’échinent à fabriquer «de la fausse monnaie intellectuelle pour assurer leur triomphe sur le marché de la conviction». Autrement dit, ces «faussaires» font clairement preuve de malhonnêteté. Mais il y a bien pire : ce sont en effet les «mercenaires», lesquels «ne croient en rien, si ce n’est à eux-mêmes». S’ils font mine de s’engager, c’est qu’ils estiment que les causes qu’ils défendent si subitement «sont porteuses, qu’elles vont dans le sens du vent dominant». Les postures de ces «mercenaires» frôleraient donc l’imposture, même si «la frontière entre «faussaires» et «mercenaires» n’est pas étanche».

D’une manière générale, prévient P. Boniface, deux raisons conduisent certains experts à faire preuve de malhonnêteté intellectuelle. Premièrement, «la fin justifie les moyens». C’est-à-dire que le grand public n’est pas prêt à «faire la part des choses». Il doit donc être «guidé» par ceux-là même qui décrètent son incapacité. Ensuite, comme ces «faussaires» se limitent à hurler avec les loups, «leurs méthodes répréhensibles ne seront jamais sanctionnées». Pis, «dire la vérité» comporterait plus d’inconvénients et de risques que d’avantages dans la mesure où cela nécessiterait «un effort supplémentaire».

Dans un premier temps, le chercheur se penche d’une façon générale sur la malhonnêteté intellectuelle. Puis, il propose une série de portraits de huit de ces «intellectuels faussaires» qu’il égratigne en mettant en lumière les inconséquences et les travers. Ainsi, il évoque notamment Alexandre Adler, la «sérial-menteuse» Caroline Fourest, Thérèse Delpech qu’il surnomme «Madame Tapedur», Bernard-Henri Lévy qu’il tient pour «le seigneur et maître des faussaires». Pour autant, P. Boniface n’en conclut pas à une théorie du complot. L’auteur se garde en effet de verser dans le fameux «tous pourris», car «aucune organisation clandestine ne manœuvre dans l’ombre pour promouvoir des intellectuels à sa solde afin de maintenir le public dans l’ignorance et sous domination».

Jean-Paul Fourmont
( Mis en ligne le 05/07/2011 )
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