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La Guerre de l'ombre des Français en Afghanistan - (1979-2011)
de Jean-Christophe Notin
Fayard 2011 /  26 €- 170.3  ffr. / 934 pages
ISBN : 978-2-213-65496-6
FORMAT : 15,3cm x 23,5cm

Brillante autopsie de trente ans de guerre

Commençons par ce qui fâche : la couverture et le titre ne sont pas à la hauteur de cette œuvre qui fera date. Le bandeau «Secret Défense» est inutilement racoleur ; le titre «La Guerre de l’ombre» ne couvre pas l’immense domaine d’étude de l’auteur qui réalise ici une nouvelle prouesse. Jugeons-en : 250 témoignages, du premier choix, rassemblant ministres, hauts responsables du Quai d’Orsay, ambassadeurs, tout le gratin des armées et du renseignement, humanitaires…

J-C Notin a vraiment l’art d’entrecroiser toutes ses sources et de tisser un récit mêlant les anecdotes à la grande Histoire. L’expression «un roman où tout est vrai» peut paraître galvaudée, mais elle est ici parfaitement adéquate. D’abord, le style de l’auteur atteint sa maturité ; il est fluide, efficace, avec de-ci de-là une analyse synthétisant en deux phrases les pages précédentes. Ensuite, Notin ne se contente pas comme certains de ses confrères d’aligner les faits en les scandant scolairement de numéros et titres de paragraphe ; il fait vivre ses témoins, les situe sur le terrain afghan et dans la géostratégie internationale.

Dans le détail, c’est simple, cette Guerre de l’ombre traite absolument tous les aspects de la participation française aux conflits afghans. Elle commence par les relations de coopération entre les deux pays datant des années 1920, avec la délégation archéologique faisant la richesse du musée Guimet à Paris et l’enseignement du français au lycée Esteqlal. Puis elle décortique l’impact de l’invasion soviétique en décembre 1979 avec les réactions critiquables de Valéry Giscard d'Estaing, que ce soit à Varsovie ou à Venise, et les prémices de l’action des services secrets français. Vient alors toute la description du Jihad anti-soviétique où l’on découvre avec admiration l’engagement des ONG comme MSF, La Guilde du Raid ou Avicen. Notin relate leurs expéditions rocambolesques entre Pakistan et Afghanistan, faites de courage et parfois d’inconscience, leurs relations avec les commandants afghans, les premières prises d’otage (Augoyard, Abouchar…), les premières victimes françaises en Afghanistan (Thierry Niquet, Frédéric Galland…). Le plus sulfureux concerne évidemment la DGSE dont Notin cite quantité d’officiers (sous pseudonyme bien sûr) en montrant la vraie réalité de leur travail souvent besogneux. C’est là sans doute le plus gros et stupéfiant apport de ce livre, mais il ne faudrait pas négliger tout le reste !

Avec le même souci d’exhaustivité, Notin expose la guerre civile entre Massoud et Hekmatyar, l’arrivée des Talibans, la dérive inexorable vers le 11 septembre. Il est impossible de faire la liste des révélations touchant la DGSE, mais le plus intéressant est qu’elles sont très habilement «contextualisées», avec la politique française en arrière-plan, les dissensions au sein des services français, les courants d’opinion dans les médias... Quand il décrit l’envoi des forces françaises après le 11 septembre, ainsi que l’a souligné Jean-Dominique Merchet dans son blog Secret Défense, on trouve chez Notin du Bob Woodward : on «vit» intensément cette courte période de trois mois en ayant l’impression d’être dans le secret des dieux à l’Elysée, au ministère de la défense, à la DGSE, en Afghanistan, au Pakistan, dans le Golfe... C’est, en ce qui nous concerne, l’apothéose du livre dont les cent dernières pages rendent hommage à l’action des troupes françaises tout en appelant à un changement radical de stratégie de la coalition internationale.

Comme pour ses trois précédents livres, la conclusion de Notin est magnifique : «grâce à sa propre histoire, grâce au millier des siens qui, dans toutes les circonstances, ont partagé joies et souffrances des Afghans, la France sait peut-être mieux que d’autres que le Royaume de l’insolence peut être aussi le cimetière des prétentions».

Jacques Augier
( Mis en ligne le 19/07/2011 )
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