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La Paix avec les morts
de Rithy Panh & Christophe Bataille
Grasset 2020 /  17,50 €- 114.63  ffr. / 178 pages
ISBN : 978-2-246-81324-8
FORMAT : 13,3 cm × 20,5 cm

Montrer l’invisible

Rithy Panh (né en 1964) est un cinéaste cambodgien, auteur de plusieurs documentaires sur le Cambodge, dont S21, la machine de mort Khmère rouge qu’il réalise en 2002. Victime lui-même du génocide Khmer (1975-1979) quand il était enfant, son œuvre est centrée sur cette période tragique de l’histoire de son pays. Auteur de fiction également, il signe en 2008 l’adaptation du roman de Duras Un barrage contre le Pacifique, avec Isabelle Huppert, et plus récemment Duch, le Maître des forges de l'enfer (2011), qui revient sur la biographie du tortionnaire Kang Kek Ieu dit Duch, personnage central de L’Elimination, un récit brutal et bouleversant sur cette période tragique. Depuis, il a publié avec Christophe Bataille L’Image manquante, et présente en 2020 La Paix avec les morts, triptyque traitant du génocide Khmer.

N’ayant pas épuisé ce sujet extrême et dramatique au possible, Panh travaille la répétition pour rendre hommage aux victimes de la tyrannie sanglante des années 1975-1979, et interroger les bourreaux qui ont organisé un tel massacre. Par des fragments, parfois lapidaires, il revient sur les traces des défunts, évoque quelques souvenirs, prolonge ses réflexions, questionne une voyante, se souvient des tortionnaires qu’il a mis en scène dans des documentaires thématiques, leur demandant de reproduire leurs gestes meurtriers. Il se recueille sur les charniers, aujourd’hui disparus car recouverts par de nouvelles habitations, plonge dans les archives des camps et se rappelle au souvenir des morts, sa famille massacrée, et l’organisation méthodique et sans précédent d’une dictature dont l’idéologie mortifère s’est implantée dans les cerveaux des plus fragiles, les plus influençables, les plus impitoyables.

Survivant lui-même du crime Khmer, Panh a passé 30 ans à analyser cette période, évidemment traumatisante. Par le documentaire ou la littérature, il a tenté de comprendre (en interrogeant victimes et bourreaux) comment une société en arrive à massacrer les siens (avec une cruauté indicible par laquelle femmes, enfants et vieillards sont torturés, assassinés, et dont les corps sont laissés à l’abandon) au nom d’une obsession criminelle qui a provoqué environ 700000 morts. Avec La Paix avec les morts, il est peut-être arrivé à la fin de sa recherche. Plus diffus, moins poignants que L’Elimination, ces fragments n’apportent malheureusement plus grand-chose de plus au devoir de mémoire, si ce n’est un dernier rappel d'une période peu connue des grands médias qui sont restés figés en 1945.

Restent quelques images frappantes comme celles des bourreaux filmés par Panh, qui se mettent à mentir sur leur crime. Des corbeaux, venus en nombre assister à la scène, se mettent à s’agiter et à coasser, comme des revenants, anciennes victimes et témoins de ce qu’ils ont vécu, et qui assistent, réincarnés, au mensonge de leurs anciens tortionnaires et assassins, fourbes et lâches. Rithy Panh et Christophe Bataille font en sorte que le crime Khmer reste présent dans nos mémoires en publiant régulièrement leur recherche et leur analyse de ce crime de masse.

Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 19/02/2020 )
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