L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Temps Présent  

L'Etat à l'épreuve des sciences sociales - La fonction recherche dans les administrations sous la Ve République
de Philippe Bezes , Michel Chauvière , Jacques Chevallier , Nicole de Montricher , Frédéric Ocqueteau et Collectif
La Découverte - Recherches 2005 /  35 €- 229.25  ffr. / 370 pages
ISBN : 2-7071-4721-4
FORMAT : 15,5cm x 24,0cm

L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Economiques et Sociales en région parisienne (92). Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide.

Sur quelques interfaces Etat/sciences sociales

Le sujet de ce livre est plus explicite par son sous-titre : «La fonction recherche dans les administrations sous la Ve République». Il ne s'agit donc pas de passer en revue les analyses sociologiques de l'Etat et de ses administrations. Il ne s'agit pas non plus de souligner le lien entre la construction de l'Etat et le développement des instruments de connaissance spécifiques à son action. Pour ce thème, on peut rappeler ici le beau livre d’Alain Desrosières, La Politique des grands nombres, (La Découverte, 1993) sur le lien entre Etat et statistiques, par exemple.

L'objectif est bien plutôt de rendre compte des conditions d'émergence et de fonctionnement de quelques groupements administrativo-scientifiques (par exemple, la Délégation générale à la recherche scientifique et technique, DGRST, le Comité d'organisation des recherches appliquées sur le développement économique et social, CORDES, ou encore la Mission interministérielle recherche expérimentation, MIRE) qui ont accompagné et éclairé l'action de l'Etat depuis les années 1960. Il s'agit donc "d'explorer l'histoire et les développements des ces "interfaces organisées" que sont les organismes de commande et de financement de recherche en sciences sociales."

La chronologie adoptée met en évidence trois grandes périodes de cette histoire. Dans les années 1960-1970 les notions de "développement économique et social" et de "science sociale empirique" accompagnent le paradigme de "modernisation" des administrations. Dans les années 1980-début 1990, la notion de "changement social" est très largement déclinée ("changer la société", "changer l'économie") pour aboutir aux problématiques toujours actuelles du "changement de l'Etat". Enfin, pour la période récente (depuis le milieu des années 1990), Claude Dubar souligne qu'"une nouvelle fonction de la recherche en sciences sociales semble émerger ou s'amplifier : celle de légitimation de décisions publiques appuyées sur des procédures d'évaluation" (p.366). Bien entendu, cette chronologie ne doit pas être lue de façon rigide et cette histoire fait apparaître, comme toute histoire, un jeu subtil de ruptures et de continuités. Cette chronologie ne marque donc que les tendances les plus lourdes.

Ainsi, et ce n'est pas le moindre des intérêts de cet ouvrage assez austère, certains articles permettent de comprendre la permanence d'un courant moderniste de la haute fonction publique qu'il soit de gauche ou de droite. De même, on comprend mieux à travers les mécanismes d'appels d'offre et de financements de laboratoires comment peuvent se constituer des savoirs d'accompagnement des politiques publiques et comment peuvent apparaître ce que Gérard Noiriel appelait il y a peu des "intellectuels de gouvernement" (G. Noiriel, Les Fils maudits de la République, Fayard) ou ce que l'on appelle plus communément aujourd'hui la montée de l'expertise.

Mais pour les sciences sociales, le débat que soulève cet ouvrage n'est pas seulement celui de l'indépendance de la recherche versus son instrumentalisation. Car à travers les différents cas évoqués, c'est aussi le rôle qu'a pu jouer l'Etat dans la reconnaissance même des sciences sociales qui est analysé. Ainsi, Alain Touraine affirme : "La sociologie n'aurait jamais été créée en France s'il n'y avait pas eu un appui extérieur au monde universitaire qui, lui, trouvait que, pour la sociologie, être le quart de la licence de philosophie c'était déjà pas mal" (p.49).

Le temps présent semble bien marqué par une hésitation et une difficulté que l'on comprend mieux alors. Les inquiétudes des sciences sociales sur leur financement et leur place sont pour partie déterminées par la question du rôle et de la place de l'Etat. Deux tendances actuelles marquent la perte du "monopole de la définition de politiques de recherche" par l'Etat : les régions et l'Union européenne apparaissent de plus en plus comme des acteurs de commandes et de financements de cette recherche. C'est cette actuelle reconfiguration qui, pour les auteurs de cet ouvrage, rend nécessaire une analyse de cette histoire des liens entre Etat et sciences sociales.

Guy Dreux
( Mis en ligne le 09/12/2005 )
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