L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Temps Présent  

Les Années Giscard - Valéry Giscard d'Estaing et l'Europe. 1974-1981
de Jean-François Sirinelli , Serge Berstein et Collectif
Armand Colin 2006 /  22 €- 144.1  ffr. / 272 pages
ISBN : 2-200-34583-6
FORMAT : 16,0cm x 24,0cm

L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.

Aux racines constitutionnelles de l’Europe

On pourrait considérer avec une certaine ironie teintée d’amertume un colloque consacré à Valéry Giscard d’Estaing en artisan européen, alors même que, au nom d’une candeur démocratique aux conséquences fâcheuses, les Français ont récemment rejeté l’étape importante de la Constitution, sous l’impulsion du reste de considérations parfois bien éloignées de l’européanisme.

C’est pourtant chose faite, et bien faite, avec le colloque dirigé par les professeurs Jean-François Sirinelli (directeur du centre d’histoire de l’IEP de Paris) et Serge Berstein, de l’IEP de Paris. Colloque international, aux franges de l’histoire immédiate (et du reste, il y a des liens à tisser entre le centre d’histoire de Sciences-Po et une institution pionnière en ce domaine comme l’Institut d’Histoire du Temps présent), qui, privilège de l’objet scientifique lui-même, permet la confrontation d’experts, d’historiens et de grands témoins. A l’heure où les historiens, à qui l’on va jusqu’à dénier une pratique scientifique, se voient récusés par d’hypothétiques figures de «descendants de victimes…», il est bon de repréciser le rôle, ou les attributions de chacun, et ce colloque participe de cet esprit clarificateur. Un colloque important donc, qui s’est tenu en janvier 2004 mais qui, hasard de la publication, se fait finalement l’écho du vote de mai 2005. Europe is back ?

Au centre, à la fois grand témoin et objet d’étude, le président Giscard d’Estaing dresse une sorte de bilan de l’action de ses gouvernements sur le front européen, intervenant dans chaque partie par le biais d’un dialogue avec les participants. On y apprend beaucoup, de la petite anecdote significative (comme les visites de Jean Monnet à l’Elysée : chaque septennat aura ainsi eu ses «visiteurs du soir» !) au schéma plus général (dans la question nucléaire par exemple, sous l’angle de la dissuasion et de ses limites au temps d’une guerre encore froide). Quelques grands thèmes s’imposent, qui structurent le colloque : les questions monétaires et la création du système monétaire européen entre 1976 et 1979, les rapports franco-allemands (et la naissance du célébrissime «couple franco-allemand», dont la rencontre Schmidt – Giscard d’Estaing constituerait la lune de miel), l’élargissement de la construction européenne (via le Conseil européen et l’adhésion de nouveaux Etats comme la Grèce), la question du parlement européen et de sa légitimité démocratique (via l’élection au suffrage universel), et celle de la Défense commune. Autant de thèmes qui, dans les faits, attestent de l’engagement européen d’un président qui – très symboliquement – a fait inscrire dans la terminologie légale l’expression, jusque là informelle, d’«Union européenne», et qui aboutira – logiquement dirait-on – au projet récent de constitution européenne.

Les participants sont, à la mesure de l’événement, de grands spécialistes universitaires : Robert Frank, Georges Henri Soutou, Maurice Vaïsse, Thierry Chopin…, chacun dans son domaine explore un pan de l’histoire européenne sous le septennat. Face à eux, les grands témoins incarnent ce pan d’histoire encore en mouvement : Helmut Schmidt, dont la complicité avec l’ancien président de la République affleure, Raymond Barre, Jacques de Larosière, Jean-François Poncet, Olivier Stirn… Bref, dirigeants politiques français et allemand, ministres et grands serviteurs de l’Etat (ou de la communauté internationale, comme le FMI représenté par J. de Larosière)… tous se confrontent au sujet, aux historiens et aux archives. Doté en annexe d’une chronologie indicative, d’une bibliographie ainsi que d’une mise au point documentaire (à partir des fonds de la FNSP) qui ne pourra qu’intéresser les chercheurs, l’ouvrage se veut, manifestement, au confluent d’une logique scientifique et d’une logique mémorielle.

Après avoir publié récemment Comprendre le XXe siècle, riche bilan intellectuel d’une carrière dédiée à l’histoire culturelle et à ses combats (gagnés, faudrait-il ajouter désormais), le professeur J.-F. Sirinelli poursuit un chemin qui le mène, avec ce colloque, dans le quasi temps présent, au travers d’une figure – Valéry Giscard d’Estaing – et d’un thème – l’Europe construite et en construction – qui sont l’objet d’une histoire encore en mouvement… et (hélas) mouvementée. Colloque modèle, en ce qu’il confronte historiens et témoins, cet ouvrage intéressera forcément les spécialistes d’histoire récente et de construction européenne, mais, plus largement, tous les citoyens qui, souhaitant dépasser les discours convenus et les caricatures stéréotypées, s’intéressent à un pan important de l’histoire politique française et internationale.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 07/03/2006 )
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