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L'Impunité des bourreaux - L'affaire Gelman
de Carlos Liscano
Bourin Editeur 2007 /  19 €- 124.45  ffr. / 244 pages
ISBN : 978-2-84941-059-2
FORMAT : 14,5cm x 22,0cm

Traduction de Françoise Thanas.

L’Ecriture comme arme !

Ancien membre des Tupamaros, emprisonné et torturé sous la dictature en Uruguay (1972-1985), c’est en prison que Carlos Liscano a découvert l’écriture. Son œuvre littéraire est importante (romans, théâtre, poésie) et commence à être traduite en France, alors qu’il est déjà depuis longtemps considéré comme l’un des grands écrivains sud-américains.

Avec L’Impunité des bourreaux, il se sert de l’écriture comme d’une arme pour s’insurger contre les lois qui protègent, dans le cadre du rétablissement de la démocratie en Uruguay, les anciens tortionnaires. Carlos Liscano raconte le terrible périple qui fut celui de l’intellectuel argentin Juan Gelman dont les enfants furent arrêtés en août 1976 alors qu’il s’était exilé au Mexique ; le cadavre de son fils Marcelo, vingt ans, exécuté une balle dans la nuque, ne fut retrouvé que treize ans plus tard, et sa jeune épouse, Maria Claudia, enceinte de six mois, arrêtée elle aussi, disparut. Sans nouvelles, Gelman reçut quelque temps après leur double disparition, en février 1978, un bref message d’un prêtre en poste au Vatican : «The child was born».

S’ouvrent alors vingt ans de quête pour retrouver l’enfant ! Histoire quasi banale dans l’Argentine des années 1976/80. L’enfant - en fait une petite fille - a été confié à un commissaire de police uruguayen et son épouse, ce que Gelman eut beaucoup de mal à découvrir. Le fait que deux pays soient impliqués complique aussi la quête des grands parents. Ce n’est que fin 1998 que Gelman apprit que sa petite fille avait été élevée en Uruguay et qu'il put alors mieux orienter ses recherches. En 2000, elle fut enfin retrouvée et identifiée sans doute possible grâce aux tests ADN. A la même époque paraissait, sans lien direct, le beau roman d’Elsa Osorio, Luz ou le temps sauvage (2000) qui racontait la même histoire, fait divers tragique qu’avaient connu de nombreuses familles argentines au temps de la dictature. A plusieurs reprises, Liscano évoque les relations établies entre les deux dictatures, alors qu’Uruguay et Argentine sont par ailleurs des pays assez différents (en particulier pour ce qui est du rôle tenu par l’Eglise).

Carlos Liscano reprend les faits de l’affaire Gelman, et dénonce le rôle des autorités uruguayennes, à l’époque de la dictature, mais aussi ensuite, et en particulier le rôle du président Sanguinetti. Julio Maria Sanguinetti, social démocrate, jouissant d’une grande réputation tant en Amérique latine qu’en Europe, a été à deux reprises président de l’Uruguay après la dictature. Liscano s’insurge avec violence contre l’impunité des bourreaux, garantie par la loi de caducité adoptée en Uruguay en 1986, dont il donne le texte (pp.25-26).

Le livre se termine sur un entretien avec le journaliste Pierre Boncenne, au cours duquel Liscano s’explique sur les raisons qui l’ont poussé à reprendre cette enquête puis à la rédiger en 2004. Laissons lui la conclusion : «Tel est aussi l’un des objectifs de mon livre : montrer que le terrorisme continue en démocratie en instituant la perte de mémoire. D’où mes réflexions sur notre usage personnel ou collectif du langage pour nous livrer à des manipulations de mémoire telles que les victimes elles mêmes finissent par adopter le discours du bourreau».

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 30/04/2007 )
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