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Culture et Guerre froide
de Jean-François Sirinelli , Georges-Henri Soutou et Collectif
PUPS - Mondes contemporains 2008 /  26 €- 170.3  ffr. / 308 pages
ISBN : 978-2-84050-547-1
FORMAT : 16,0cm x 24,0cm

L'auteur du compte rendu : Historien des relations internationales à Sciences Po Paris, Pierre Grosser est directeur des études de l’institut diplomatique du ministère des affaires étrangères.

Cultures, idées et rideau de fer

On n’a pas fini de scruter toutes les dimensions de la guerre froide, au-delà de la traditionnelle description des jeux de puissances. La «guerre contre le terrorisme» rappelle l’importance des enjeux culturels et de la construction de l’image de l’ennemi. La parution des actes de ce colloque tenu en 2005 est donc bienvenue. Comme toujours, certaines contributions reprennent des travaux antérieurs, mais leur regroupement est utile tant la production historique est aujourd’hui disséminée.

Plusieurs articles se focalisent sur la culture de guerre froide stricto sensu : Françoise Thom décrit les campagnes anti-occidentales et anti-cosmopolites de l’Union soviétique d’après-guerre, tandis que l’article original de Sabine Dullin montre la place de l’espion venu de l’extérieur dans le cinéma soviétique, «violeur de frontière» qui s’infiltre dans la communauté, et il faut savoir le démasquer. Deux autres articles sont plus consacrés à la culture communiste qui, dès l’origine, comprend une forte dimension nationale, comme en Hongrie pour laquelle on parle de «rakosisation» plus que de «soviétisation», ce qui va à l’encontre des discours actuels en Europe orientale sur la «parenthèse communiste», résultant seulement de l’imposition d’un modèle extérieur suite à la conquête de l’Armée rouge. Il est dommage qu’il n’y ait pas un exemple des nombreux travaux qui portent sur la culture de guerre froide (civile ou militaire) à l’Ouest, en particulier en Grande Bretagne.

Un deuxième ensemble de contributions relève de l’histoire des relations internationales : la culture est une dimension de la diplomatie (parfois non gouvernementale, mais rarement dans les États communistes), que l’école française des relations internationales met depuis longtemps en valeur. Les «échanges» culturels marquaient souvent la température des relations diplomatiques. Mais tout cela pesait finalement relativement peu, qu’il s’agisse des relations franco-tchécoslovaques (Antoine Marès), franco-soviétiques (Thomas Gomart, Marie-Pierre Rey), ou entre les deux Allemagnes avant 1961, dans lesquelles l’Ouest a tôt pris l’avantage (Pierre Jardin). Plus intéressantes étaient les luttes entre les deux blocs dans les organisations internationales (traitées par Patrick Clastres à travers l’histoire du Comité International Olympique), et la compétition entre les organisations de jeunesse, dans laquelle les deux grands se sont beaucoup investis (Joel Kotek). Enfin, en ces temps où l’on parle beaucoup de «diplomatie publique» et de «guerre des idées», l’article de Marie-Chantal Lepeuple sur Radio Free Europe était nécessaire, même si les travaux se sont multipliés sur cette question. La culture était donc une arme pour créer des liens mais aussi pour combattre.

Le troisième ensemble tend à montrer que la «réunification» culturelle de l’Europe a précédé la chute du rideau de fer. D’abord à cause des transformations internes dans le bloc de l’Est (la Bulgarie traitée par Svetla Moussakova, l’Union soviétique par Cécile Vaissié). Ensuite à cause de la constitution progressive de réseaux d’élites scientifiques, comme le mouvement Pugwash (Michel Pinault). Enfin, et c’est une dimension qui n’a pas été assez développée à cause de conceptions souvent élitistes de la culture en France, de par l’influence de la culture de masse et de la contre-culture populaire à l’Est. Cécile Vaissié en dit quelques mots. Stephen Gundle résume ses travaux sur la manière dont la culture communiste en Italie s’est construite en grande partie en imitant les pratiques de la culture de masse américaine. Mais on aurait bien aimé des articles sur l’influence du rock à l’Est, ou de la télévision commerciale de l’Ouest.

Dans l’ensemble, cet ouvrage collectif sera utile par ses zooms sur des réalités qui nous paraissent souvent anciennes. Mais la question de la circulation des idées et de ses conséquences pour la transformation des États «fermés» reste posée aujourd’hui, de l’Iran à la Chine.

Pierre Grosser
( Mis en ligne le 02/07/2008 )
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