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Une histoire de la violence au Moyen-Orient - De la fin de l'Empire ottoman à Al-Qaida
de Hamit Bozarslan
La Découverte 2008 /  24 €- 157.2  ffr. / 318 pages
ISBN : 978-2-7071-4958-9
FORMAT : 15,5cm x 24cm

L'auteur du compte rendu : Historien des relations internationales à Sciences Po Paris, Pierre Grosser est directeur des études de l’institut diplomatique du ministère des affaires étrangères.

Islam et violence

Spécialiste de la question kurde et de la Turquie, Hamit Bozarslan travaille depuis longtemps sur les dimensions sociologiques et anthropologiques de la violence. Cet ouvrage ambitieux en donne une chronologie. Il identifie une violence nationaliste et révolutionnaire, puis, après 1979, une phase de conflit entre islamisme révolutionnaire et répressions d’Etat, et enfin l’émergence d’une violence islamiste venue des marges du Moyen-Orient. Disons-le d’emblée, il contient de nombreuses analyses remarquables, très denses et toujours bien informées. Les réflexions sur l’épuisement des populations, la signification des attentats-suicide, et la réflexion sur le corps (en particulier les figures âgées et brisées qui remplacent aujourd’hui les corps vigoureux du temps du nationalisme arabe) sont particulièrement riches.

L’auteur ouvre son travail par les dernières années de l’Empire ottoman, mais il est dommage qu’il n’ait pas plus mis en valeur les violences dans les Balkans, qui ont eu un impact considérable, en particulier durant les guerres balkaniques de 1912-1913. Si le génocide des Arméniens est pris en compte, les années terribles de 1919 à 1924 sont traitées bien rapidement, alors que les opérations grecques et alliées ont radicalisé le nationalisme turc en Anatolie. La violence des puissances mandataires aurait sans doute mérité d’être plus développée, de même que la violence coloniale au Maghreb ; la réflexion sur la guerre civile en Algérie dans les années 1990 manque un peu d’ancrage. D’une manière générale, le lecteur reste un peu sur sa faim dans une première partie qui pèse un tiers du livre mais couvre plus des 2/3 de la période considérée. Les deux guerres mondiales sont à peine traitées, alors qu’elles sont de plus en plus étudiées (en particulier les conséquences terribles de la Première Guerre mondiale en Iran).

Le tournant de 1979 apparaît bien essentiel, même s’il est un peu déconnecté des relations internationales, et de l’utilisation par les États de la rivalité de la Guerre froide. D’une manière générale, le choix «anthropologique» de privilégier les «figures» de la violence (le révolutionnaire nationaliste, le martyr, le milicien, le moudjahidine…), et celui «socio-politique» de mettre en avant, comme François Burgat, le face à face entre État autoritaire et islamisme contestataire, obscurcit un peu les dimensions internationales et transnationales de la violence, comme par exemple les acquisitions d’armes. La conclusion de l’auteur est pessimiste, qu’il s’agisse des capacités des régimes à poursuivre leurs politiques de coercition tout en jouant sur toute une palette de formes de cooptation (en particulier en jouant de manière opportuniste la carte religieuse) et des fragmentations palestinienne, irakienne et afghane.

Bref, cette fresque très riche permet d’élargir les problématiques, de sortir de la simple narration chronologique, et d’éviter les simplifications sur la violence inhérente des sociétés musulmanes.

Pierre Grosser
( Mis en ligne le 07/10/2008 )
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