L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Histoire Générale  

Le Désir du vin à la conquête du monde
de Jean-Robert Pitte
Fayard 2009 /  25 €- 163.75  ffr. / 332 pages
ISBN : 978-2-213-63801-0
FORMAT : 13,5cm x 21,5cm

L'auteur du compte rendu : Historienne et journaliste, Jacqueline Martin-Bagnaudez est particulièrement sensibilisée aux questions d’histoire des religions et d’histoire des mentalités. Elle a publié (chez Desclée de Brouwer) des ouvrages d’initiation portant notamment sur le Moyen Age et sur l’histoire de l’art.

Quand le boire touche au sacré

Il ne répond à aucun besoin alimentaire, à aucune nécessité industrielle. Pourtant, de nos jours, les effets de la mondialisation concernent et bouleversent, comme dans tant d’autres domaines, la géographie de sa production et de sa consommation. Mais boire du vin, c’est un art, proclame J.-R. Pitte, qui raconte une histoire toute marquée par le sacré et la culture, même si celle-ci, aujourd’hui prend le pas sur celle-là.

Étancher sa soif ? Se faire plaisir ? Approcher le sacré ? Exercer une activité lucrative ? Et aussi chercher le remède aux maux de ce monde… La viticulture – la consommation du raisin en grain n’a qu’une faible importance économique -, et la production de vin relèvent de toutes ces aspirations. À l’aise dans les grandes synthèses et assurément amateur de bon vin, J.-R. Pitte brosse ici une histoire qui débute au VIe millénaire avant notre ère, en Géorgie, et il entraîne son lecteur à travers le temps et le monde. Très tôt, ce n’est pas tant pour leur usage personnel que les hommes produisent du vin (la bière reste la boisson courante en Mésopotamie comme en Égypte) mais parce qu’ils reconnaissent en elle une boisson liée aux dieux (Osiris, Dyonisos, etc.). Omniprésent dans la Bible, le vin y apparaît souvent avec ses méfaits (ivresses de Noé, de Lot), alors que Jésus est présenté comme un amateur (le bon vin des Noces de Cana) et un même un connaisseur de la chose vinicole (la fermentation du vin nouveau). Les découvertes auxquelles nous convie ce livre s’élargissent aux dimensions du monde, avec l’expansion et les reculs successifs de la vinification en Europe, en Asie et dans les nouveaux mondes.

Toutefois, J.-R. Pitte ne donne pas ici un simple ouvrage de géographie historique, car il analyse à chaque étape le comportement, les désirs et besoins des hommes, et il argumente avec conviction sur la dualité du vin, lié aux cultes («Le vin devient Dieu» avec le christianisme), mais aussi boisson de plaisir. L’attitude de l’Islam oscille entre le rejet d’«un plaisir défendu» mais reconnu quand même comme bienfait puisque promis dans le paradis. Sensualité, spiritualité, restent, à travers le monde et les temps, les compagnes fidèles de l’histoire vinicole.

Commerce et techniques aussi. Le besoin de conserver, de transporter parfois loin de ses zones de production, une boisson de valeur et toujours animée d’une vie interne, il y avait là un défi, relevé dès l’Antiquité, auquel répond toute une histoire de la technologie. Le XVIIe siècle est un moment décisif, qui découvre le rôle conservateur du soufre, crée les formes de la (presque encore) actuelle bouteille en verre et invente le bouchon en liège. C’est aussi le temps où le vin perd son caractère sacré pour devenir pure boisson de plaisir et de fête ; qu’on songe à l’invention du champagne. L’Angleterre – n’en déplaise au chauvinisme français – joue un rôle essentiel dans ces mutations.

La sûre information de l’auteur s’étend aux dimensions de la planète, et l’évolution des avancées et des reculs, des besoins et des goûts conduit in fine à s’interroger (est-ce l’historien qui analyse ? l’amateur de bon vin qui s’exprime ?) sur ce qui fait le «terroir» : une combinaison des données de la nature, de la qualité des raisins, et du savoir-faire, répond J.-R. Pitte. Le nomadisme de ces composants induit alors à d’inévitables évolutions.

L’ouvrage de J.-R. Pitte, destiné aux historiens comme aux amateurs de vin, d’une lecture dont la richesse d’informations n’empêche pas la fluidité, s’appuie sur une solide érudition. La bibliographie aurait sans doute gagné à être thématique. L’illustration, choisie avec perspicacité et reproduite avec qualité, introduit à la variété des sources de l’auteur. Et comment mieux figurer une si longue et complexe histoire qu’en produisant des cartes, précises démonstrations des propos tenus ?

Jacqueline Martin-Bagnaudez
( Mis en ligne le 28/04/2009 )
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