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Histoire & Sciences socialeset Histoire Générale  

Histoire de la Sicile
de Jean-Yves Frétigné
Fayard 2009 /  28 €- 183.4  ffr. / 477 pages
ISBN : 978-2-213-63154-7
FORMAT : 15,3cm x 23,5cm

L'auteur du compte rendu : Hugues Marsat est agrégé d'histoire. Enseignant dans le secondaire, il mène parallèlement des recherches sur le protestantisme aux XVIe-XVIIe siècles.

L’île au milieu de la mer au milieu des terres

Le fameux politologue André Siegfried aurait dû songer à l’histoire de la Sicile lorsqu’il prêtait de riches et puissants sous-entendus à l’insularité anglaise dans une phrase d’ouverture lapidaire. Sans doute la connaissance de cette île ensoleillée lui aurait-elle fait relativiser les avantages de l’insularité pour considérer plutôt ceux de la centralité et les inconvénients qui l’accompagnent. Cette réflexion, Jean-Yves Frétigné l’a faite et elle guide même son Histoire de la Sicile dont il fait remarquer qu’elle a tour à tour été centre d’une civilisation brillante, «frontière active ou périphérie délaissée».

Car l’insularité n’a jamais protégé la Sicile des invasions : Sicanes et Sicules de l’âge du bronze, Grecs, Carthagnois, Romains, Byzantins, Arabo-berbères, Normands, Français, Aragonais et puis bien plus tard, et dans un genre très différents, Allemands et Anglo-américains (pour l’essentiel des troupes cherchant à entrer dans la forteresse Europe en 1943 par la porte du bas selon une stratégie très churchillienne). A la litanie des conquérants pourrait se rajouter celle d’Italiens si le terme ne recouvrait pas une réalité plurielle dont la Sicile est supposée faire partie en dépit d’un sentiment séparatiste réel mais minoritaire.

L’erreur serait de considérer ces envahisseurs comme des étrangers de passage que le livre vient envisager au fur et à mesure des chapitres successifs, le suivant remplaçant le précédent. Chacun d’entre eux apporte à la Sicile une part de son identité. S’il arrive que l’île ne fut parfois qu’une périphérie d’un empire au centre pouvant être fort éloigné, comme dans le cas byzantin ou musulman, elle est le plus souvent, et de manière étonnante pour le lecteur du XXIe siècle qui aurait des idées trop bien arrêtées, un, si ce n’est le, cœur d’une civilisation des plus brillantes.

Il en va ainsi de la civilisation siciliote, cette extension de la civilisation hellénique version sicilienne, dont les cités tyranniques tinrent tête à Carthage comme à la démocratie athénienne. Au passage, il faut remarquer que la Sicile carthaginoise, la pointe Ouest de l’île, n’apparaît guère faute de documentation sans doute. S’il est spécialiste de l’Italie, Jean-Yves Frétigné est aussi maître de conférences en histoire contemporaine. Force est de reconnaître qu’il n’en a pas profité pour bâcler son ouvrage et arriver rapidement à son champ de prédilection. Au contraire, non seulement l’antiquité occupe un petit tiers du livre – ce qui n’est pas abusé si l’on considère l’importance de la période pour le patrimoine des Siciliens -, mais l’auteur manifeste à cette occasion une maîtrise des particularités de l’histoire antique.

Le Moyen Age ne pouvait être qu’à l’honneur lui aussi, la Sicile étant alors très disputée des Byzantins aux Aragonais. Il revient plutôt au Sud de la péninsule d’être alors la périphérie de l’île et de servir de champ de bataille entre les puissants occupant l’espace italien - Normands et Impériaux contre souverains pontifes – voire se disputant la suprématie en Méditerranée occidentale – Angevins contre Aragonais. C’est bel et bien l’époque moderne qui voit l’île basculer lentement vers le statut de périphérie de plus en plus délaissée, d’où la brièveté de son évocation en une soixantaine de pages.

Ensuite, l’île occupe une place importante dans l’histoire politique, mais comme second rôle, une base-arrière : dans la résistance à la furia francese jacobine et napoléonienne comme dans la construction nationale puisqu’elle sert de départ à l’expédition des Mille (1860) de Garibaldi. Entre les deux, cruelle ironie, le royaume des Deux-Siciles ressuscité en 1815 a fait de Naples sa capitale et a relégué la Sicile au rang de périphérie. Si elle a su monter dans le train de l’aventure italienne ou se laisser entraîner dedans, la Sicile a raté celui de l’industrialisation. D’où la caricature malheureusement vérifiée par de nombreux aspects d’une région économiquement marginalisée et tombée entre les mains de la Cosa Nostra.

Jean-Yves Frétigné a pris garde à ne pas faire qu’une histoire politique de la Sicile, l’histoire économique étant intimement liée à cette dernière et la dimension culturelle étant inévitable pour ce carrefour des civilisations qui a connu son heure de gloire à l’époque de Roger II au XIIe siècle. Il a donc fallu nourrir le propos d’une abondante documentation et pas seulement pour en tirer les quelques cartes qui l’éclairent.

En plus d’être un exercice d’érudition jamais aisé dont la réalisation finale montre la réussite, et que donc il est loisible de déguster comme tel, L’Histoire de la Sicile constitue un exercice stimulant de réflexion de géographie historique sur les notions de centre et de périphérie.

Hugues Marsat
( Mis en ligne le 13/04/2010 )
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