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Histoire & Sciences socialeset Histoire Générale  

Crus et cuites. Histoire du buveur
de Didier Nourrisson
Perrin - Pour l'Histoire 2013 /  23 €- 150.65  ffr. / 386 pages
ISBN : 978-2-262-03578-5
FORMAT : 14,2 cm × 21,1 cm

L'auteur du compte rendu : Grégory Prémon est agrégé d'histoire-géographie.

Pris de boisson

Du «buveur gaulois» au «buveur du temps présent», Didier Nourrisson relève le défi d’écrire l’histoire du «buveur» en France. L’ouvrage s’appuie à la fois sur les travaux de l’auteur qui a notamment travaillé sur les bouilleurs de cru normands au XIXe siècle et sur ceux de Roger Dion ou de Jean-Robert Pitte.

Quelles sont figures du «buveur» ? Comment se sont-elles construites ? Comment nourrissent-elles notre imaginaire ? Le «buveur gaulois», tout d’abord : est-il ce buveur invétéré dont le XIXe siècle a véhiculé l’image ? L’auteur a ce souci de déconstruite les représentations qui nourrissent notre imaginaire et de conclure, non, «le Gaulois n’est pas une outre sur pieds». Au Moyen-âge, le buveur se confond dans notre imaginaire avec «la figure du moine paillard Frère Jean». La réalité est plus complexe et nuancée : ecclésiastique ou laïque, le buveur médiéval appartient d’abord aux couches supérieures de la société. Tandis que l’Eglise porte alors un regard sévère sur toutes les formes d’excès et valorise l’abstinence, les premiers vins médicinaux apparaissent.

A l’époque moderne, la boisson s’urbanise avec la multiplication des tavernes et des cabarets. Les goûts évoluent comme en témoigne l’apparition du champagne. La civilité du boire fait son apparition. Antoine de Courtin lui consacre de longs passages dans son ouvrage, Nouveau traité de civilité, paru en 1671. A partir du XIXe siècle, la France occupe une place singulière en Europe : alors que, notamment dans le monde anglo-saxon, s’impose un idéal de tempérance, de modération voire d’abstinence, notre pays voit s’affirmer la figure du «buveur à la française». Son histoire se confond avec notre histoire politique et notre histoire économique : la révolution industrielle favorise le développement de l’industrie de la boisson tandis que les soubresauts de la vie politique ont conduit l’historien Théodore Zeldin a écrire «que les Français ont acquis en même temps que le droit de voter, le droit de boire». Cette histoire particulière n’empêche pas les combats menés contre les excès et pour la tempérance : Georges Clemenceau en fera ainsi l’une de ses batailles politiques. Et le «buveur du temps présent» ? Il est bien sûr le fruit de ces traditions et de cette histoire contradictoire : «Le buveur du XXIe siècle est tourmenté. Il se dédouble. Il est «raisonné» : il boit raisonnablement avec goût, réflexion, avec modération, et même temps, il est agi, contrôlé, averti, réprimé aussi, bref, éduqué».

De l’Antiquité à nos jours, Didier Nourrisson nous offre la chance de parcourir une histoire totale et décloisonnée. En vingt ans, l’histoire du «boire» s’est en effet transformée. D’une histoire quantitative – largement présente dans la thèse de l’auteur, Alcoolisme et antialcoolisme en France : l’exemple de la Seine-Inférieure durant la Troisième République -, elle est devenue une histoire culturelle qui n’hésite pas à établir des ponts avec l’histoire économique, politique ou encore religieuse ou encore à s’inspirer des travaux menés en sociologie, anthropologie ou ethnologie. Le titre de l’ouvrage est ainsi un clin d’œil avoué à celui de Claude Lévi-Strauss, Le Cru et le Cuit.

Grégory Prémon
( Mis en ligne le 09/07/2013 )
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