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Histoire & Sciences socialeset Histoire Générale  

Atlas du crime à Paris du Moyen-âge à nos jours
de Dominique Kalifa et Jean-Claude Farcy
Parigramme 2015 /  39 €- 255.45  ffr. / 220 pages
ISBN : 978-2-84096-872-6
FORMAT : 24,4 cm × 28,0 cm

Paris, capitale du crime et de la délinquance ?

Parigramme poursuit sa série d’atlas parisiens. Après avoir publié des atlas généraux sur Paris et sur les Parisiens, après avoir traité du Paris souterrain, du Paris médiéval, napoléonien et haussmannien, voici un nouvel opus consacré au crime et confié à deux éminents spécialistes du domaine : Dominique Kalifa, professeur à l’université Panthéon-Sorbonne (Paris 1) et spécialisé dans l’histoire criminelle contemporaine, et Jean-Claude Farcy, chercheur dans le domaine de l’histoire de la justice depuis l’époque révolutionnaire.

L’ouvrage, élégamment présenté et mis en page, comme ses prédécesseurs, est bien un véritable atlas, puisque l’on y compte pas moins d’une centaine de cartes et de graphiques, mais il offre aussi un texte nourri et utile à leur bonne compréhension. Une bonne bibliographie clôt l’ouvrage, faisant seulement regretter le parti pris éditorial d’absence de toute note dans le texte, donc de toute référence précise aux textes cités. La lecture en est certes facilitée, mais on aurait aimé, par exemple, connaître la source du «reportage» fait par des ecclésiastiques visitant à leurs risques et périls la «banlieue chaude» en 1860 et longuement cité en conclusion.

Le titre de l’introduction, «Paris, capitale du crime et de la délinquance ?», résume d’emblée la démarche des auteurs, questionnement qu’ils développent ainsi : «Cet atlas est né du désir d’interroger sur le long terme cette identité criminelle de Paris. Cette ville est-elle si singulière ? Fit-elle vraiment corps avec les gueux et les larrons de la cour des Miracles, avec les «escarpes» de la monarchie de Juillet, avec les Apaches de la Belle Epoque, les souteneurs corses des années 30 ou les jeunes «racailles» des cités contemporaines ?». Ils précisent également que «la notion de crime y a été prise en extension : agressions, atteintes aux biens et aux personnes y sont considérées, sans anachronisme, dans leurs définitions historiques et élargies à des formes de transgression (vagabondage, mendicité, prostitution, homosexualité)» mais que sont volontairement omises les violences sociales ou celles liées aux attentats récents (OAS des années 1960, islamisme contemporain), la vague anarchiste faisant seule l’objet d’un chapitre particulier.

Le propos commence au moment où les sources permettent pour la première fois de dresser un tableau de la délinquance parisienne, soit à l’époque de la guerre de Cent Ans, avec ses larrons et ribaudes, un chapitre spécial étant consacré à la fameuse cour des Miracles, mythe hugolien ou réalité : on laissera au lecteur le soin de trancher. Il s’achève de nos jours par une série de chapitres sur les formes les plus visibles de la criminalité récente, «Immigration étrangère et délinquance», «Délinquance et transports publics» et «Viols et violences sexuelles».

Chaque étape de ce voyage dans le temps est rythmée en 7 parties et 71 courts chapitres dont chacun est illustré et comporte, pour la plupart, une ou plusieurs cartes. On y trouvera aussi bien la description des milieux délinquants que celle des lieux qu’ils fréquentent, mais aussi les formes successives de l’organisation policière propre à la Capitale. On voyage ainsi des maisons de jeu et autres tripots, aux bordels, «rues chaudes» et autres lieux mal famés. On visite les prisons à différentes époques, mais également les commissariats.

La littérature n’est pas oubliée, elle qui a largement contribué à façonner le mythe parisien, depuis le roman-feuilleton du XIXe siècle au rôle de la presse à sensation en passant par le genre littéraire qui naît à la même époque, les Mémoires policiers dont les plus connus sont ceux de Vidocq et Canler, anciens chefs de la Sûreté. On relèvera enfin que quelques grandes affaires criminelles font l’objet d’un développement particulier du fait de leur caractère emblématique d’une époque, Cartouche, le malandrin ambigu, l’affaire du Courrier de Lyon ou l’énigme policière aux portes de la ville, le criminel romantique Lacenaire fascinant lorsqu’il fait du crime une «œuvre d’art», et Troppmann, l’assassin d’une famille entière sous les murs de la ville. Mais aussi Bonnot, Landru, Petiot, tous ayant tiré parti des conditions particulières régnant dans le paris de leur époque, progrès technique de l’automobile ou bouleversements issus des deux guerres mondiales. Sans omettre le peu connu Soleilland, violeur et assassin d’ une fillette en 1907, condamné à mort et qui bénéficia de la grâce présidentielle ; s’ensuivit un scandale qui fit alors avorter le débat en cours sur l’abolition de la peine de mort et la repoussa de plus d’un demi-siècle.

Ce vaste panorama conduit les auteurs à répondre de façon nuancée à leur question initiale sur la spécificité parisienne. D’une part, la criminalité concentrée initialement dans la cité a migré dans les marges banlieusardes au fil du temps, en un mot «de la cité aux cités», et le Paris des plaisirs et du crime relève plus actuellement du mythe que de la réalité, même si ce mythe persiste dans l’imaginaire collectif. D’autre part, nous disent-ils, «rien ne dit que ce Paris-là fut plus criminel que Marseille, Londres ou Chicago. Mais tout confirme que le crime et la délinquance y connurent un destin particulier, que cet atlas invite à découvrir». On ne saurait mieux dire pour inviter le lecteur curieux à se plonger dans une œuvre qui mérite largement une lecture attentive, instructive autant que distrayante.

Jean-Etienne Caire
( Mis en ligne le 07/12/2015 )
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