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Histoire & Sciences socialeset Histoire Générale  

Dictionnaire du renseignement
de Collectif
Perrin - Tempus 2020 /  17 €- 111.35  ffr. / 1424 pages
ISBN : 978-2262086541
FORMAT : 13,0 cm × 18,5 cm

Edition revue et augmentée.

Première publication en mars 2018 (Perrin)

Sous la direction de Hugues Moutouh et Jérôme Poirot.


Le renseignement par lui-même ?

Depuis quelques années et grâce aux travaux pionniers de nombreux chercheurs (Sébastien Laurent, Olivier Forcade, François David, Olivier Chopin, etc.), la France a trouvé sa place dans les ''Intelligence studies'' et l’étude, sous l’angle des sciences humaines et sociales, du renseignement. Il aurait été toutefois étonnant que les principaux intéressés - les membres des diverses institutions dédiées au renseignement – ne s’immiscent pas dans un courant qui prend de l’ampleur, pour y proposer un regard de praticien. Avec ce Dictionnaire du renseignement, dirigé par deux acteurs, ou anciens acteurs, du métier, et rédigé par de nombreux acteurs, identifiés ou anonymes, c’est désormais chose faite. Il s’agit maintenant de répondre à la question : les agents savent-ils s’analyser eux-mêmes comme objet de réflexion ?

Le volume, épais et doté de tous les instruments scientifiques nécessaires, présente bien. Des notices, amples, couvrent la plupart des réalités actuelles et historiques du secteur. L’approche est à la fois historienne, géopoliticienne, administrative et experte, les auteurs ayant opté pour un dictionnaire qui croise les mythes, les grandes affaires et le quotidien du renseignement. Du point de vue du quotidien, on ne peut que leur faire confiance, et constater la richesse et l’efficacité des diverses notices, qui ne reculent pas devant la complexité administrative ou l’acronyme hermétique : travail de politistes, ce dictionnaire en a la solide érudition et l’ambition de replacer une fonction dans un cadre plus vaste qu’est le service de l’Etat. Les articles techniques sont, à cet égard, les plus intéressants : on y cause métier, on y voit les rouages, enfin expliqués, on voit se déployer une «culture du renseignement» avec son langage, ses références, ses coups de chapeau, ses cousinages et ses défiances, que les fans du genre ont captés par bribes et qui, enfin, s’affichent.

Avec quelques clins d’œil bienvenus (James Bond a sa notice, de même que le roman d’espionnage, et Ian Fleming), les auteurs s’autorisent un brin d’humour et une réflexion, intéressante, sur le renseignement vu de l’extérieur. Car le renseignement est un univers en soi, et ce dictionnaire très compact en dessine les frontières, amples, nationales et internationales : outre le renseignement français, on croise les grands services étrangers, les grands noms de la communauté, les grandes «nations» du renseignement, quelques grandes affaires, non seulement au temps de la Guerre froide – âge d’or – mais également avant et parfois jusque dans les traditions les plus lointaines, le renseignement s’intégrant à la stratégie.

Du point de vue de l’histoire du renseignement, l’ouvrage n’est hélas pas toujours au niveau et pèche parfois par des notices un peu rapides, et par des bibliographies qui tiennent peu compte de la recherche récente et des auteurs universitaires. C’est regrettable d’autant que la démarche est intéressante : l’affaire Dreyfus par exemple, vue depuis les services de renseignement, est évidemment différente de celle que connait le grand public, mais ignorant les travaux récents, l’auteur de la notice se limite à un parcours un peu rapide d’une historiographie datée, et contestable. Certes, on croise les grands noms, les grandes affaires (à commencer par le Rainbow Warrior), les grands pays du renseignement (mais là encore, la bibliographie n’est pas toujours d’actualité). Si l’article ''Terrorisme'' laisse un peu sur sa faim, faute d’une bibliographie à jour, l’article ''Contre-terrorisme'' est plus ample, et bienvenu : en prenant le parti pris du paradigme guerrier, certes officiel, il délimite l’approche du phénomène. L’article ''Archives'' se contente de citer le droit sans évoquer la méthode avec laquelle il faut envisager ces sources… dont on ignore d’ailleurs la localisation, ce qui est regrettable.

Dans une certaine mesure, ce dictionnaire est le reflet d’une approche plus administrative, indispensable, mais qui néglige quelque peu la richesse des approches en sciences sociales. Affaire d’efficacité, dira-t’on : les deux approches s’avèrent complémentaires et ce dictionnaire vient utilement appuyer les travaux d’histoire du renseignement, et proposer des pistes de réflexions.

Ce gros dictionnaire est donc bienvenu : pour les curieux comme pour les citoyens, pour ceux qui veulent comprendre ce rouage moins connu de l’action de l’Etat comme pour ceux qui ont envie de lire John Le Carré (qui aurait mérité sa notice…) de manière informée. Les notices sont rédigées de manière pédagogique : pas de jargon, des exemples, souvent tirés de récits d’agents, et une volonté manifeste d’éclairer, d’informer, de casser des mythes sans enlever au métier sa grandeur. La démarche est, à l’image du résultat, à saluer.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 10/04/2020 )
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