L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Histoire Générale  

Sociétés secrètes - De Léonard de Vinci à Rennes-le-Château
de Alexandre Adler
Hachette - Pluriel 2008 /  8.50 €- 55.68  ffr. / 314 pages
ISBN : 978-2-01-279399-6
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l'auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman(Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

Que vont-ils faire tous dans cette galère ?

En lisant un tel livre, certains seront surpris. Son auteur est bel et bien Alexandre Adler. Pourtant, il n'y a rien d'étonnant ou de surprenant pour cet ancien élève de l'Ecole normale supérieure, agrégé d'histoire, chroniqueur sur France Culture et membre du comité éditorial du Figaro, conseiller du président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Roger Cukierman, et l'auteur de J'ai vu finir le monde ancien, L'Odyssée américaine et Rendez-vous avec l'Islam. Si l'on est loin ici des polémiques politiques qu'il suscite parfois, on s'accordera sur le fait qu'Alexandre Adler aime comprendre la complexité du monde et de l'histoire. Que l'on soit d'accord ensuite avec ses interprétations est une autre affaire.

Alexandre Adler, qui a été inscrit au Parti communiste, puis au Parti Socialiste, qui défend l'État d'Israël, cet ami de Condoleezza Rice, qui dénonce régulièrement «le simplisme» français concernant les Américains et la politique étrangère des États-Unis, qui a soutenu la guerre en Afghanistan et la guerre en Irak en 2001 et 2003, qui a soutenu les Albanais du Kosovo, les Bosniaques et les Tchétchènes, qui soutient l'intégration de la Turquie dans l'Union européenne, et impute la faillite du processus de paix israélo-palestinien à Yasser Arafat, part à présent fouiner du côté des sociétés secrètes... Il aime les stratégies, le dessous des affaires, démasquer les apparences, détromper les leurres, mettre à bas les lubies avec un certain goût pour le jeu de pistes.

Pour un historien, il y a quelque chose de forcément intéressant dans tout cela, non pour défendre telle thèse ou telle secte, mais pour comprendre les mécanismes en jeu. Car les sociétés secrètes, ça flaire toujours les coups bas, les complots, le syncrétisme et les croyances archaïques. L'on oscille évidemment toujours entre crédulité et fantasme, avec, par exemple, ce genre de questions tirées par les cheveux : N'est-ce pas le jumeau de Jésus qui est mort sur la croix ? Certes, par méconnaissance, on a rapidement comme le mal de mer et l'on suit souvent la vingtaine de chapitres d'un air autant halluciné que sceptique.

Cet ouvrage est issu de la série d'émissions qu'Alexandre Adler a produite pour France Culture en 2006 sous le titre Histoire de... Da Vinci Code. Car tout part de là, si l'on ose dire, du livre de Dan Brown et du film académique. Il faut suivre attentivement toutes les ramifications car on se perd vite dans ce dédale de noms, de secrets, de gnose, comme par exemple, pêle-mêle, le curé Saunière, la cantatrice Emma Calvé, le premier christianisme, le Moyen Age des Templiers, les Rose-Croix et la Franc-Maçonnerie, Hérode le Grand, les tétrarques, les Mérovingiens, Godefroi de Bouillon, Jeanne d'Arc, Léonard de Vinci, Benoît XV, le légendaire Prieuré de Sion, l'Évangile de Jean et son occultation, René d'Anjou le prince des alchimistes, le fils caché du cardinal de Richelieu, Nicolas Poussin, les jansénistes, Cassini et le méridien de Paris, Jules Verne et son roman Clovis Dardentor... Il y a de quoi faire.

On a beau dire, ce monde fascine. Mais le problème avec ce genre d'ouvrage est qu'il faut être un quasi expert du sujet. Tout est tellement emmêlé et embrouillé qu'un novice suivra la dernière explication donnée.

Le point de départ, outre le Da Vinci Code, se situe à la fin du XIXe siècle, où, après des années de recherches, l'Abbé Saunière fait une découverte inouïe dans son église de Rennes-le-Château. Il devient riche et se lance dans des travaux d'architecture gigantesques. Que contenait donc le pilier creux de cette petite église ? Des reliques ? Un manuscrit précieux ? Le trésor des Cathares recueilli par les Templiers ? La preuve que le Christ a eu un enfant, et que celui-ci vécut en Gaule avec Marie-Madeleine ? En gros, la légende prête à Bérenger Saunière le fait d'avoir eu connaissance d'un terrible secret, de s'être considérablement enrichi grâce à la découverte d'un fabuleux trésor et d'avoir eu des relations avec des sociétés occultes...

Certes, on peut interroger un tel regain pour ces sociétés mystiques. On lira ou relira dans ce cas le livre de Pierre-André Taguieff, La Foire aux illuminés. Ésotérisme, théorie du complot, extrémisme (Paris, Mille et une nuits, 2005) où l'auteur, retraçant l'histoire du complotisme et de ses manifestations ésotériques, montre que ces théories, jusqu'alors plus ou moins l'apanage de l'extrême droite, se sont métamorphosées à la faveur des nouvelles formes de communication. Grâce à Internet, popularisées par les jeux vidéos et certains films à succès comme Da Vinci Code justement, elles répondent de nos jours à une demande de "sens" car elles fournissent des explications à la fois complètes et mystiques du monde, en plus de faire marcher une certaine imagination. Selon Taguieff, dans un monde désenchanté et quasiment athée, les théories du complot et leurs succédanées irrationnelles (Star Wars, etc.), participent d'une reconfiguration des croyances et du religieux sous une forme sécularisée.

Quoi qu'il en soit, l'être humain ne peut pas s'empêcher d'inventer des histoires pour meubler un vide. Il faut qu'il invente des complots, qu'il gribouille sur les parchemins, qu'il traque ses opposants, etc. Au lieu de constater benoîtement que la vérité est toute nue, on la travestit d'histoires farfelues, pour s'occuper l'esprit. Si l'on ne trouve ici en vérité aucune révélation d'importance, on comprendra la façon dont fonctionnent certains systèmes de pensée et d'affabulation. On peut aussi s'amuser follement à suivre les coups tordus. On apprend au passage que la fameuse tirade des Fourberies de Scapin- "Que diable allait-il faire dans cette galère ?" - n'est pas un simple gag ; si elle provoquait l'hilarité des spectateurs de l'époque, c'est qu'ils entendaient à merveille la raillerie de Molière faisant référence à Vincent de Paul qui aurait été enlevé sur une galère par des pirates sarrasins croisant au large...

Patiemment, avec concision et esprit de synthèse, Alexandre Adler tente de débrouiller les fils. Il nous entraîne avec un style alerte et vif dans le réseau inextricable de ces sociétés secrètes (il est recommandé de prendre des notes). Et quand il règle au passage son compte à L'Enigme sacrée de Michael Baigent, Richard Leigh, Henry Lincoln, et Brigitte Chabrol, qui ont fait un procès à Dan Brown pour plagiat (qu’ils ont perdu d’ailleurs), on a envie de lui faire confiance pour son sérieux.

Cependant, à un moment, Alexandre Adler prend d'autres chemins, et n'hésite pas à battre en brèche la conception de Dan Brown et des autres : "En somme, l'hypothèse selon laquelle nous aurions dans le Razès soit le tombeau de Jésus soit le tombeau de ses enfants installés à Rennes-le-Château, et que ce terrible secret aurait été partagé par les Templiers, puis quelques sociétés secrètes ultérieures, nous semble purement et simplement absurde." (pp.226-227). En fait, pour Adler, il y a bien un mystère qui concerne cette région du sud de la France. Ce n'est pas celui que l'on croit mais celui, plus modeste ou moins sensationnel, du trésor de Jérusalem et d'un mystérieux roi des Juifs. Laissons la surprise au lecteur...

Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 30/09/2008 )
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