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Histoire & Sciences socialeset Biographie  

Charles Péguy - Une humanité française
de Arnaud Teyssier
Perrin 2005 /  21 €- 137.55  ffr. / 327 pages
ISBN : 978-2-262-02321-8
FORMAT : 15,5cm x 24,5cm

Péguy, une légende à revisiter

Péguy penche-t-il à gauche ou à droite ? Après des décennies d’oubli, la question passait pour incongrue, hier encore. Mais ne voilà-t-il pas que Jaurès et Blum, deux des plus proches compagnons du grand classique, sont devenus récemment, par la grâce d’un président et de son conseiller (ou l’inverse), des penseurs ressuscités, des références disputées ? Le travail d’Arnaud Teyssier tombe à point pour se forger une opinion sur ce dossier désormais brûlant...

Revisitons la légende. Physiquement, le petit gars trapu du Val de Loire est un rustaud aux gros souliers ferrés, sarrau noir bien serré à la ceinture. A côté de cela, un regard grave et ardent d’écolier «intelligent, laborieux et docile», dira son directeur de communale, en un temps où ces qualificatifs sont des compliments. Des bancs de l’école primaire à Normale, le fils de la rempailleuse de chaises et du menuisier incarne l’élève modèle de la laïque, sous la conduite des hussards noirs de la République.

Sur un tel terreau, le boursier exemplaire germine haut et droit, trop sans doute, jusqu’à perdre de vue les pousses alentour. Péguy l’intransigeant rompra avec presque toutes ses amitiés, de lycée comme de pensée. Avec Lucien Herr et Léon Blum, ses professeurs dreyfusards de la première heure, coupables de se satisfaire de la grâce du capitaine, là où Péguy exige la réhabilitation, avec Jaurès, taxé (pas si injustement peut-être) de compromission avec le régime décadent de la IIIe République. C’est que chez lui, les meilleures causes, la vérité, l’honneur d’un homme, la justice sociale, seront toujours soumises à celle, plus grande, du salut de l’esprit français, de redressement de la France éternelle, ni plus ni moins. Le natif du faubourg Bourgogne, quartier populaire d’Orléans, abhorre certes les puissances de l’argent, mais cette conscience socialiste est aussi un anti-moderne. Et l’étudiant anticlérical aussi, un mystique obsédé par Jeanne d’Arc. Son catholicisme est ainsi une renaissance, pas une conversion, montre finement Arnaud Teyssier. Péguy étaye enfin avec le destin de la pucelle le dépassement d’une autre contradiction apparente : le chantre des valeurs chrétiennes sera aussi un va-t’en-guerre.

«Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,
Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre.
Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre.
Heureux ceux qui sont morts d’une mort solennelle»
,

avait-il écrit, avant d’être frappé d’une balle en plein front sur la Marne, premier grand mort (avec son ami Alain-Fournier) de la Grande guerre.

L’élève de Bergson aura néanmoins poli une œuvre immense, largement incomprise et peu diffusée de son temps, désertée aujourd’hui. La pensée est complexe, le style, un «fatras» - c’est Proust qui se laisse aller à le dire. Son écriture ample, puissante et mouvante, charrie, comme sa Loire, des limons épais mais roboratifs. Péguy (1873-1914) aura aussi porté au plus haut degré d’exigence les métiers de libraire et d’éditeur, publiant dans ses Cahiers de la quinzaine, revue portée à bouts de bras, Romain Rolland, Daniel Halévy, André Suarès.

Aimé de Romain Rolland, admiré de Maurras, Péguy trouble toujours. Fut-il un Barrès de gauche, un Blum de droite ? Arnaud Teyssier, à qui l’on doit aussi un beau Lyautey - autre figure d’avant-guerre solidement plantée au sol sur ses guêtres, mais la tête dans les étoiles - a la cruelle amabilité de nous laisser bien seuls – avec l’intelligentsia de notre temps, donc - devant la question.

Jean-Michel Cedro
( Mis en ligne le 30/06/2009 )
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