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Madame Swetchine ou le ciel d'ici
de Francine de Martinoir
Cerf - L'Histoire à vif 2011 /  15 €- 98.25  ffr. / 190 pages
ISBN : 978-2-204-08882-4
FORMAT : 13,5cm x 21,5cm

La «mystérieuse Madame Swetchine»

«Qu’est-ce que se résigner ? C’est mettre dieu entre la douleur et soi. Et puis : il semble que nous ne soyons appelés à connaître l’infini que par nos douleurs. Ou encore : avoir beaucoup souffert, c’est comme ceux qui savent beaucoup de langues, avoir appris à tout comprendre et à se faire comprendre de tous». C’est ainsi que Madame Swetchine concevait la résignation, c’est-à-dire comme intimement liée à dieu, à la souffrance et d’une certaine façon aussi à la connaissance.

Si Sophie Soymonov - l’auteure de ces quelques lignes – est aujourd’hui peu connue, tel ne fut pas toujours le cas. En effet, jusqu’aux années 1920, Madame Swetchine occupait une place importante dans l’histoire des idées. Son nom était lié aux interrogations philosophiques, aux débats portant sur le catholicisme, aux combats d’ordres politique et social. En outre, Madame Swetchine participait très activement à la vie mondaine hexagonale.

Puis, peu à peu, le travail du temps a contribué à effacer son nom. En dépit de son éclat d’antan, Madame Swetchine a finalement été oubliée. C’est donc une injustice que Francine de Martinoir vient de réparer. Écrivain et collaboratrice régulière du journal La Croix, cette dernière vient en effet de consacrer un ouvrage à Madame Swetchine, que les éditions du Cerf ont récemment publié. Cette biographie s’intitule Madame Swetchine ou le Ciel d’ici.

Francine de Martinoir retrace donc le parcours qui fut celui de Sophie Soymonov. D’origine russe, Madame Swetchine est née à Moscou en 1782, c’est-à-dire sous le règne de Catherine II. Elle est issue d’un milieu social aisé, puisque son père «occupait un poste élevé dans l’administration intérieure de l’Empire» et avait concouru à la création de l’Académie des sciences de la ville de Moscou. Quant à sa mère, elle était «la fille du général-major Jean Boltine, originaire des environs de Kasan». Celui-ci avait «participé à la traduction russe de l’Encyclopédie». Ainsi, ses origines familiales la prédestinaient d’une certaine façon au milieu des lettres.

Vivant surtout dans les bibliothèques, Sophie Swetchine entreprend à dix-neuf ans «de lire, de copier, de commenter les textes qui l’intéressent. L’écriture naît pour elle dans les marges des livres, réflexions qu’elle note dans des cahiers, reliés plus tard». A l’heure actuelle, «trente-cinq volumes nous sont parvenus», alors que quelques-uns se sont égarés. En 1803, elle fit la connaissance du contre-révolutionnaire français Joseph de Maistre, que Francine de Martinoir salue comme l’«un des plus grands esprits de son temps», rien de moins... Il aurait notamment influencé «Balzac (…), Baudelaire, Ernest Hello, Barbey d’Aurevilly, Huysmans, André Breton, Cioran, Sollers».

C’est durant l’hiver 1816-1817 que Sophie part pour la France. Elle arrive à Paris au printemps. Avec son mari, dans un premier temps, elle s’installe dans le faubourg Saint-Germain, le «noble faubourg» où reviennent tous les hobereaux qui avaient déguerpi pendant de la Révolution française, puis lors du retour de l’Empereur. Bref, un peu à la manière de Louis XVIII revenant à la fin de l’Empire dans les fourgons de l’étranger… A Paris, Madame Swetchine reçoit souvent. Dans son salon se pressent nombre d’intellectuels de l’époque, dont Falloux, Dupanloup, Pauline Craven et Rémusat. Jusqu’à sa disparition en 1856, la «mystérieuse Madame Swetchine», comme on l’appelait alors, contribue activement à la naissance de la doctrine du catholicisme social.

Dans l’oraison funèbre de Madame Swetchine, Lacordaire dira que «tôt ou tard, l’Orient s’inclinera devant l’Occident comme un frère vers son frère. Sainte-Sophie entendra retentir dans les deux langues le symbole qui n’a pas cessé de nous unir. En ce temps-là, chère et noble amie que nous avons perdue et que nous demeurons ici à pleurer, en ce temps-là, vous soulèverez un peu la froide pierre de Montmartre, vous respirerez un instant l’air où vous avez vécu, et y reconnaissant à la fois les hommes de votre première et de votre seconde patrie, vous bénirez dieu qui vous avait appelée avant les autres et auquel vous aviez répondu par cette foi sans tache qui nous éclaira nous-mêmes».

Jean-Paul Fourmont
( Mis en ligne le 28/06/2011 )
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