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Histoire & Sciences socialeset Biographie  

Dante
de Alessandro Barbero
Flammarion 2021 /  28 €- 183.4  ffr. / 471 pages
ISBN : 978-2-08-151933-6
FORMAT : 15,2 cm × 24,2 cm

Sophie Royère (Traduction)

Dante, citoyen aisé de Florence

Historien, spécialiste d’histoire médiévale et passionné par l’histoire militaire, Alessandro Barbero a consacré plusieurs de ses travaux à de grandes batailles historiques (La Bataille des trois empires - Lépante, 1571, Le Jour des barbares, Andrinople). Son important ouvrage consacré à Dante, cette année marquant le 700ème anniversaire de sa mort, s’ouvre d’ailleurs sur une bataille, jour de la saint Barnabé, le samedi 11 juin 1289. Dante est un des participants de cette bataille qui eut lieu à Campaldino et permit à Florence et au parti guelfe de triompher de sa rivale gibeline Arezzo. Alessandro Barbero dresse ainsi le portrait d’un Dante en propriétaire terrien, attiré par les armes, appartenant à la bourgeoisie (le popolo grasso), un homme bien inséré dans sa ville. Son mariage avec une jeune fille de la noblesse, Gemma di Maneto Donati, complète cette insertion dans les élites florentines, ce qui peut expliquer selon l’auteur que la mariée fut épousée sans dot, l’alliance étant suffisamment prestigieuse pour le jeune Dante.

Cette biographie, très fouillée, décrit un propriétaire terrien qui est aussi impliqué dans des activités de finance, courantes pour son époque et son milieu, dans cette Toscane qui est un des berceaux du capitalisme. Après des études classiques de philosophie et de théologie, il entame une carrière politique ; il sera élu prieur en 1300, faisant ainsi partie des six magistrats qui dirigent la ville, charge qu’il n’exercera que deux mois. Sa carrière politique, brève, n’est pas exemplaire et il s’en fera l’écho lorsque, arrivant dans le huitième cercle de l’Enfer, réservé aux corrompus, il craint d’y être condamné…

Alessandro Barbaro dresse le tableau du complexe contexte politique de l’Italie du Nord, au début du XIVe siècle, juxtaposition de cités-états qui s’affrontent constamment et s’insèrent dans des jeux diplomatiques entre papauté, intervention française de Charles de Valois et domination impériale. Guelfes (c’est-à-dire les partisans du pape et de l’intervention française) et gibelins (partisans des Hohenstaufen) se mènent une guerre sans merci, dont Dante sera l'un des acteurs et l'une des victimes. A Florence, les guelfes se divisent en deux groupes rivaux autour des grandes familles : les Noirs dirigés par les Donati, d’ancienne noblesse et soutenus par Charles de Valois, et les Blancs, dirigés par des banquiers, les Cerchi, qui représentent une bourgeoisie riche d’extraction plus récente. Dante appartient à cette seconde faction ; en 1302, il est contraint à l’exil avec six-cents autres citoyens florentins, à la suite de l’installation au pouvoir des Noirs. Un procès se tient en janvier 1302, à l’issue duquel il est banni à perpétuité et condamné à mort s’il revient dans sa ville.

De 1302 au 14 septembre 1321, jour de sa mort, Dante séjournera de cour en cour : d’abord en Lunigiane (1306-1315), puis à Vérone (1315-1319) et enfin à Ravenne. En 1310, lorsque l’empereur Henri VII vient en Italie pour rétablir son pouvoir, Dante, abandonnant les guelfes, se joint à ses partisans, et commence sans doute à cette époque sa rédaction de La Monarchie. Alessandro Barbero décrit avec finesse cet exil, et ce que dut être la vie de Dante, «chevalier de cour» s’adonnant à son rôle de distraction de ses hôtes généreux, correspondant avec les grands humanistes de son époque, participant à des missions diplomatiques. Toutefois, cet exil n’était pas sans contrainte ainsi qu’en témoigne cette amère réflexion du poète lors de son séjour véronais : «… comme a saveur de sel le pain d’autrui et comme il est dur à descendre et monter l’escalier d’autrui».

L’exil lui fournit toutefois l’occasion de reprendre une activité littéraire ancienne : il avait probablement achevé sa Vita Nuova en 1293, puis suspendu son écriture lors de son entrée en politique ; il y revient, composant ce monument de la littérature occidentale qu’est la Divine Comédie. Il s’impose alors, selon l’expression courante, comme le «père de la langue italienne», qui sera le toscan, triomphant grâce à lui des autres langues et dialectes régionaux d’un pays qui est loin d’avoir réalisé son unité.

Alessandro Barbero, dans un avant-propos à l’édition française, note avec raison que Dante est mal connu en France, et peu lu, à l’exception de la génération romantique des années 1830. Une rue à Paris, dans le quartier latin, rappelle son possible et bref séjour parisien. Selon Boccace : «déjà voisin de la vieillesse, il n’hésita pas à aller à Paris, où, après un court séjour, il acquit tant de gloire par ses discussions savantes, et montra une telle grandeur d’esprit, que ceux qui l’avaient entendu s’en émerveillaient encore en en parlant».

Le but d’Alessandro Barbero n’est pas tant de faire lire La Divine Comédie que de présenter la vie d’un homme qui fut engagé dans son temps, amoureux d’un amour platonique de la belle Béatrice Portinari à la mort précoce. Dante, selon lui, l’aurait rencontrée pour la première fois en 1274, à neuf ans et : «Dès lors je dis qu’Amour s’empara de mon âme». Il fut l’un des derniers représentants de la culture médiévale. Un homme qui constatait : «Autant que savoir douter me plait»... superbe réflexion à méditer.

Alessandro Barbero a réalisé un impressionnant travail d’érudition, qui se prolonge avec des notes abondantes, une bibliographie qui l’est tout autant, une chronologie qui permet de se repérer dans un récit parfois touffu pour qui n’est pas spécialiste des luttes intestines de l’Italie du Nord entre les années 1280 et 1321. Un index bien utile vient compléter l’appareil critique. En refermant l’ouvrage, l’envie peut venir au lecteur de se précipiter sur La Divine Comédie. La traductrice, Sophie Royère, en indique deux éditions aisément accessibles : Oeuvres Complètes (La Pochothèque, 1996), et l’édition en trois volumes de La Divine Comédie, par GF Flammarion (1985-92, corrigée en 2004 pour L’Enfer et Le Paradis).

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 14/06/2021 )
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