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Histoire & Sciences socialeset Biographie  

Alexandra Feodorovna - la dernière tsarine
de Paul Mourousy
Editions du Rocher 2001 /  21,04 €- 137.81  ffr. / 370 pages
ISBN : 2268039994

Légendes russes….

Cet ouvrage a le mérite de nous rappeler que « l’Allemande » des années 1914-1917 ne l’était pas tant que cela. Petite-fille de Victoria par sa mère (l’épouse du duc de Hesse-Darmstadt), la jeune Alix a en effet reçu une éducation essentiellement anglaise. C’est cette ambiguïté dans les origines qui l’a peut-être poussée à épouser avec passion la religion de sa patrie d’adoption, sans pour autant gagner le coeur de ses sujets.

L’auteur s’interroge sur les causes de ce rejet, mais ses réponses sont peu convaincantes. Alix (devenue Alexandra) se serait d’abord aliénée la haute société en manifestant de la froideur aux obsèques d’Alexandre III, qui coïncidaient avec son arrivée en Russie. Quant au peuple, elle s’en serait éloignée dès le moment de son couronnement. Malgré la terrible bousculade qui fit alors près de 1 400 morts, le couple impérial se rendit en effet au bal de l’ambassade de France, « parce que tout était préparé » (!). Voilà des explications qui auraient mérité davantage d’étoffe. De même, l’impératrice était-elle distante et hautaine uniquement parce qu’elle souffrait d’une sciatique ? Comme la plupart des Russes blancs, Paul Mourousy attribue toutes les erreurs de la monarchie à l’intelligentsia, à la noblesse décadente et aux révolutionaires, téléguidés par l’Allemagne. Le peuple restait « sain » et sincèrement attaché à l’autocratie. On note au passage une réhabilitation de Raspoutine, incarnation russe du « bon sauvage ».

D’une manière générale, l’auteur axe son propos sur la vie privée de l’impératrice, la grande histoire n’apparaissant qu’en filigrane. Ce ne sont que balades romantiques au bord de la Néva, chamailleries avec sa belle-mère, Maria Fédorovna, légitimes inquiétudes pour ses enfants, surtout pour le tsarévitch Alexis. La guerre russo-japonaise, la révolution de 1905, les travaux de la Douma sont très peu développés - une exception toutefois pour l’oeuvre de Stolypine. L’analyse des guerres balkaniques est même proprement puérile : le tsar n’y est pas intervenu directement parce qu’il ne voulait pas arracher ses soldats à leur famille (!). Et le jeu des grandes puissances ? L’histoire se réduit trop souvent à des querelles de cour de récréation. Alexandra a toujours détesté Guillaume II, qui haïssait son cousin Nicolas II : qui peut sérieusement croire que là se situent les causes de la Première Guerre mondiale ? Ce conflit lui-même, et les révolutions de 1917, occupent une place étonnament réduite dans cet ouvrage. Si l’on taxe Alexandra de germanophilie, explique l’auteur, c’est parce que, guidée uniquement par des sentiments chrétiens, elle voulait faire cesser la tragédie en suggérant une paix séparée à son époux. Quelques pages seulement sont consacrées à la captivité et la mort, qui auraient pourtant pu donner lieu à une fort intéressante réflexion sur le destin de la Russie. On relève en outre, ça et là, quelques inexactitudes. Ainsi, à Borodino, « le maréchal Koutousof obligea Napoléon à se rendre ». Napoléon prisonnier des Russes ?

Sous la plume de Paul Mourousy, fils d’un prince russe émigré à Paris, la tsarine Alexandra bénéficie donc d’une indulgence de tous les instants. On regrettera un texte trop romancé et certaines mièvreries, dans la description de la première rencontre d’Alix avec le tsarévitch Nicolas, par exemple. L’auteur a fâcheusement tendance à se projeter dans l’esprit des personnages, remplaçant ce que les archives ne nous disent pas par des interprétations de son cru. Il en résulte bien des dialogues à l’eau de rose. D’archives d’ailleurs, il n'est absolument pas question en fin de volume. Paul Mourousy se contente d’une bibliographie succincte et vieillie : pas une référence postérieure à 1967 ! Cette réédition d’un ouvrage de 1987 n’a fait l’objet d’aucune actualisation, et, cependant, que d’événements depuis ! Pas de notes scientifiques non plus. Ce qui aurait pu être une biographie de référence se transforme donc en une hagiographie au style certes plaisant, mais dont le contenu laisse le lecteur curieux d’histoire, sur sa faim. Son intérêt réside finalement bien davantage dans l’image qu’elle nous renvoie des idéaux de l’émigration russe parisienne de la seconde génération que dans le sujet lui-même.

Jean-Noël Grandhomme
( Mis en ligne le 09/04/2002 )
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