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Histoire & Sciences socialeset Biographie  

Leo Strauss - Une biographie intellectuelle
de Daniel Tanguay
Grasset - Le Collège de philosophie 2003 /  23 €- 150.65  ffr. / 335 pages
ISBN : 2-246-59241-0
FORMAT : 13 x 23 cm

L'auteur du compte rendu : Pascal Cauchy, chargé de conférence à l'IEP de Paris depuis 1994, est secrétaire général du Centre d'Histoire de l'Europe du XXe Siècle (CHEVS) de Sciences Po.

Leo Strauss : une redécouverte

Leo Strauss naît en 1899 en Allemagne dans une famille juive orthodoxe. Il oriente ses études vers la culture juive médiévale. Philosophe, son premier choix l’amène à la pensée de Spinoza. Etudiant dans les universités allemandes puis à l’Académie des études juives de Berlin en 1925, Strauss émigre vers l’Angleterre en 1932 puis aux Etats-Unis. C’est à la New School for social research de Chicago qu’il poursuit ses recherches.

Strauss fait école. Dans le climat de la guerre froide, il apparaît comme un philosophe libéral (voire conservateur) qui se méfie des dérives idéologiques tirées de constructions politiques spéculatives. Au dogme du droit naturel imposé par les Lumières européennes du XVIIIème siècle, il oppose celui d’un droit naturel ancien «afin de sauvegarder la société libérale des dérives induites par le relativisme, l’historiscisme radical et le nihilisme».

Cette présentation de l’œuvre et du philosophe est souvent la plus admise dans le monde francophone comme le souligne Daniel Tanguay, l’auteur de ce brillant essai. Une biographie intellectuelle nécessite d’aller plus loin, de retracer la généalogie de cette pensée originale et de présenter les fondations d’une recherche autour du théologico-politique. Car c’est ce thème, au demeurant central, qu’a choisi Daniel Tanguay comme fil rouge pour tracer, en 300 pages, les grandes expériences philosophiques de Leo Strauss.

La question juive, dont la persécution est l’élément déterminant, est le point de départ de la réflexion du jeune Strauss. Elle lui permet à la fois d’aborder la relation entre Dieu et la politique et l’engagement du philosophe dans la Cité. C’est la tradition juive qui a amené Strauss au sionisme, à dix-sept ans. Mais l’athéisme du sionisme politique, un temps accepté, le contraint à reconsidérer bien des impasses du projet sioniste comme celles du retour nostalgique à l’orthodoxie juive. Hobbes, Socrate et surtout les Lumières médiévales retiennent son attention. Il découvre le rôle de passeurs de la tradition platonicienne chez Maïmonide mais aussi chez les aristotéliciens musulmans, en particulier Farabi. De cette période se dégage, chez Strauss, une science politique qui permet de comprendre la révélation. Prophète et philosophe-roi sont une même personne qui joue un rôle pédagogique essentiel dans la Cité. Sa fonction n’est pas de compromettre l’équilibre de la société mais d’aider à la formation d’un bon gouvernement d’où disparaît la persécution.

Cette étape permet à Daniel Tanguay d’aborder le thème straussien de l’interprétation des textes philosophiques. Strauss a réfuté l’historicisme de la lecture des philosophes. La persécution (du juif et du philosophe) impose un art d’écrire ; en ce sens la philosophie est plus que jamais politique. C’est le moyen par lequel Strauss amène l’idée de la théologie naturelle voire révélée. Car il y a une «utilité politique de la religion».

A vouloir s’émanciper de Dieu, la Cité prépare le destin de Socrate. Inversement, la foi biblique est exclusive et conduit à l’obéissance à la Loi, à la subordination même de la connaissance. C’est le conflit entre Athènes et Jérusalem qui se présente à l’individu dans sa recherche de «la meilleure vie» et non l’opposition entre les Anciens et les Modernes. L’individu est alors confronté à ce choix autour duquel il organise son cheminement intellectuel et philosophique. Cette démarche est fondée sur un «droit naturel» bien loin d’une autonomie morale universelle. Strauss parle de «philosophie zététique» qui est, selon l’auteur, «la recherche de la cause ou des causes du Tout ainsi que la quête d’une réponse à la question : Quelle est la meilleure vie ?»

Après quelques essais de biographies intellectuelles particulièrement réussis (Alain, Popper, etc.), les éditions Grasset, grâce à Daniel Tanguay, nous offrent une présentation claire de l’œuvre d’un penseur essentiel du XXème siècle. Cependant, on peut regretter l’absence du contexte intellectuel comme de quelques éléments biographiques plus «classiques». Le livre est davantage la biographie d’une pensée et la contingence n’est pas son sujet.

Restent quelques questions sur l’influence de Leo Strauss sur la pensée libérale et les orientations politiques qui s’en réclament, en particulier depuis sa mort en 1973. Homme d’école ou caution philosophique ? Question également sur la place de Strauss dans l’émergence d’une pensée politique juive moderne émancipée du sionisme originel. Voilà le début d’un chantier qui intéressera, sans doute, les historiens des intellectuels comme ceux qui se préoccupent des idées.

Pascal Cauchy
( Mis en ligne le 03/09/2003 )
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