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Histoire & Sciences socialeset Biographie  

Francisco Pizarro - Conquistador de l'extrême
de Bernard Lavallé
Payot - Biographie Payot 2004 /  23 €- 150.65  ffr. / 352 pages
ISBN : 2-228-89812-0
FORMAT : 14x23 cm

L'auteur du compte rendu : Hugues Marsat, agrégé d'histoire, est enseignant dans le secondaire. Il mène parallèlement des recherches sur le protestantisme aux XVIe-XVIIe siècles.

Francisco le conquérant

Hernan Cortès et la conquête du Mexique, accomplie en à peine deux années, pourraient partiellement donner une fausse idée de la conquête de l’Amérique et de ses acteurs, les conquistadors. Pendant de la biographie du destructeur de l’empire aztèque due à Bartholomé Bennassar dans la même collection Payot (2001) et possédant le même appareil critique de notes bibliographiques avec ses cartes et son index, le livre que Bernard Lavallé, professeur de civilisation hispano-américaine coloniale à l’université de la Sorbonne Nouvelle, consacre à Francisco Pizarro, conquérant de l’empire inca, souligne toute la rudesse des conquérants et les difficultés de leur entreprise, mais aussi sa dimension fondatrice.

Quant à la vie de Pizarro avant son embarquement à Sanlúcar de Barrameda en février 1502, beaucoup d’ombres demeurent ; même sa date de naissance en 1478 reste hypothétique. Aussi l’auteur choisit-il de n’en garder que l’essentiel, reprenant les conclusions du débat historiographique sans entrer dans les détails : son origine noble mais modeste - il est le fils illégitime d’un hidalgo d’Estrémadure -, son illettrisme et sa carrière militaire poursuivie entre autre en Italie. Cette relative obscurité a permis à nombre de ses détracteurs de lui attribuer des origines indignes mais souligne la formidable ascension du conquistador, parti de rien, la vie d’un bâtard devenu conquérant, l’Histoire se répétant parfois.

L’arrivée à Hispaniola ne correspond en rien à une émergence du futur conquistador perdu dans le nombre des aventuriers du Nouveau Monde. Il n’est d’abord qu’un simple soldat dans la troupe d’Ojeda à la découverte du Darién en 1509, mais il est le lieutenant de Vasco Núñez de Balboa lorsque celui-ci traverse avec peine l’isthme et invente l’Océan Pacifique – baptisé pour l’heure Mer du Sud – en 1513. C’est là qu’il peut commencer à réunir l’argent qui lui permet en 1524 de monter une compagnie pour la conquête du Levant avec Hernando de Luque et surtout Diego de Almagro. Il lui faudra encore près de dix ans et deux expéditions préliminaires avant de se lancer véritablement dans la conquête du Pérou en 1531, assisté de ses demi-frères ramenés d’Espagne en 1528-1529 à la faveur d’un voyage dont le but était d’obtenir les fameuses capitulaciones, sortes de brevets royaux autorisant leurs titulaires à conquérir et diriger au nom du souverain. Il a alors cinquante-trois ans.

Commence la conquête de ce qui se révèle être un vaste empire, dont Bernard Lavallé reconstitue l’épopée sanglante et glorieuse qui mène Francisco Pizarro jusqu’au sommet. L’homme, s’il est taciturne, ne manque ni de courage, ni de détermination et encore moins de ruse pas plus qu’il ne s’embarrasse de vergogne : l’épisode de la capture de l’Inca Atahualpa à Cajamarca en novembre 1532 illustre parfaitement ses caractéristiques.

Pourtant, ce n’est pas tant la rencontre entre deux mondes, ni même les vicissitudes de la conquête, que Bernard Lavallé s’attache à souligner mais les rivalités entre les conquistadors. En plus d’être l’affaire de la fratrie Pizarro, l’aventure péruvienne est le fait de nombreuses individualités avec lesquelles il dut compter. Si Hernando de Soto, premier à rencontrer l’Inca, comprend qu’il ne pourra sans mal se tailler un territoire à l’image de Cortès et choisit de reporter ses projets sous des cieux plus septentrionaux, Diego de Almagro, l’associé de Pizarro lésé dans les capitulaciones, ne l’entend pas ainsi. Dans la confrontation avec les frères Pizarro, qui tourne à la guerre civile, il y perd la liberté lors de la bataille des Salines en avril 1538, puis la vie, exécuté pour atteinte à l’autorité royale, ce dont ses partisans tirent vengeance en assassinant Francisco Pizarro le 26 juin 1541.

Si «ses longues années américaines (…) sont marquées d’interminables cohortes de morts, surtout indiens» (p.317), le destructeur de l’empire inca apparaît aussi comme un fondateur. En répartissant selon le modèle colonial espagnol les terres et leurs habitants entre les conquérants, il instaure un modèle social et foncier qui n’a pas entièrement disparu aujourd’hui, certains indiens n’ayant toujours aucune existence légale, condamnés à servir dans les haciendas. Parallèlement, la fondation de villes concrétise l’appropriation et achève le tissu administratif espagnol. La route de Pizarro est jalonnée de ces fondations dont les plus fameuses restent Jauja et Lima en 1535. Pour ces raisons, le conquistador est à l’origine de la naissance douloureuse du monde andin moderne et sa biographie apparaît d’autant plus d’actualité.

S’appuyant sur les relations des chroniqueurs du temps ainsi que sur les travaux des historiens hispaniques qu’il confronte avec maîtrise, et sans hésiter à incliner dans le sens de telle ou telle analyse, l’auteur dresse le portrait d’un conquistador de l’extrême, donc quelque peu atypique. Paradoxalement cet atypisme lui permet de faire de Pizarro un archétype du conquistador, montrant toutes les facettes, les réussites et les limites, d’un groupe d’individus dont les hauts faits personnels introduisent une rupture dans l’histoire continentale. Il inscrit le bâtard dans une logique de réseaux en soulignant les relations familiales et les rapports entre les conquistadors ; il insère ainsi le conquérant dans la dynamique politique des relations entre la Couronne et ces mêmes conquistadors.

Hugues Marsat
( Mis en ligne le 05/04/2004 )
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