L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Biographie  

Richelieu
de Françoise Hildesheimer
Flammarion - Grandes biographies 2004 /  26 €- 170.3  ffr. / 586 pages
ISBN : 2-08-210290-4
FORMAT : 16x24 cm

L'auteur du compte rendu: agrégée d'Histoire, docteur de l'Université de Lille III en Histoire moderne, actuellement Chargée de Recherche (1ère classe) au C.N.R.S., Isabelle Brancourt est en poste au Centre d'Etude d'Histoire Juridique (Archives nationales). Ses recherches concernent l'histoire de la justice du Parlement de Paris et de la procédure sous l'Ancien Régime.

Françoise Hildesheimer collabore à Parutions.com.


Intelligence réciproque

Voici quelques semaines qu’un grand sujet et un grand livre ont été offerts à l’attention du public. Sans se laisser aller à un effet d’optique – en l’occurrence, à un effet de presse – on ne peut qu’être heureusement impressionné par le caractère unanimement favorable du panorama critique constitué par les comptes rendus et recensions qui en ont été donnés. Il n’est pas besoin d’autres motivations que scientifiques et littéraires pour s’associer – sans condition – à cette unanimité.

Cette dernière repose sur l’intérêt toujours vif de nos contemporains pour le personnage, Armand Jean du Plessis, cardinal de Richelieu, et pour l’époque, la France baroque, l’un et l’autre au centre du travail de Françoise Hildesheimer. Il fallait en outre beaucoup de travail, d’intelligence et d’imagination pour sortir, sur un sujet qui a tant fait couler d’encre, des sentiers battus. Pour ce faire, l’auteur a d’abord utilisé toutes les ressources d’une gamme documentaire particulièrement riche ici, allant du document d’archives brut, produit au jour le jour, à l’œuvre élaborée, politique et historique, mais aussi théologique et même théâtrale. En virtuose des mots et de «l’art de penser», Son Éminence avait su, en effet, proposer sa lecture de l’histoire. Encore fallait-il – en virtuose aussi, des sources de l’histoire – réussir la synthèse intelligente de cet océan documentaire. Car il était nécessaire d’extraire le lecteur de la vulgate dont, consciemment ou non, Richelieu a imprégné nos esprits, en forgeant à propos de lui-même l’archétype du grand ministre, en imposant à la postérité l’aune de l’homme d’État à la mesure de laquelle ont été étalonnés, en particulier, les autres serviteurs de la royauté. Richelieu ne plane-t-il pas ainsi sur la France jusqu’à la mort du Roi ?

Les travaux historiques antérieurs ont davantage porté leur intérêt sur les facettes si diverses de la France et de l’Europe d’alors, promouvant du même coup une appréciation réévaluée du personnage mieux situé dans son temps. Il fallait, dans un récit de vie déjà souvent écrit, réintégrer, autant que faire se pouvait, les toutes dernières analyses sur les contextes institutionnel, politique, militaire, international, littéraire et religieux. De plus, l’approfondissement de la pensée politico-religieuse de Richelieu, telle qu’elle est exprimée dans les ouvrages élaborés à son initiative, permet à F. Hildesheimer de reconstituer le fascinant chemin qui, chez lui, mène de la croyance et de la pensée à l’action et de mieux apprécier la fidélité de l’homme d’État aux principes dont il se réclame. De là découle la remise en cause de bien des idées reçues comme la vocation religieuse, l’ambition, la possession du pouvoir, la raison d’État, ou encore la «laïcisation» de la politique qu’aurait opérée ce machiavélien cardinal de la Sainte Église romaine. Le retour aux textes débouche ainsi sur un recadrage de Richelieu en son époque où s’affirme, pour régir les activités humaines, la primauté d’un rationnel, plus scolastique que cartésien, dont il peut être considéré comme la figure emblématique. Constater que, pleinement cardinal et ministre, Richelieu a cru possible de mener une action politique sécularisée sans se sentir en contradiction avec sa foi religieuse, c’est sans doute, selon l’auteur, entendre la leçon qu’il peut encore aujourd’hui nous délivrer.

L’introduction pose en termes légers, comme les pas du chat, la classique problématique de la biographie (on doit, sans doute, à André Maurois, l’une des meilleures théorisations de la biographie dans une série d’essais publiés, en 1928, sous le titre Aspects de la biographie) : qui est l’homme sous et au-delà de la légende ? Le livre de 590 pages est construit ensuite en quatre parties qui suivent, comme l’impose le style biographique, la chronologie de l’Ascension (1585-1624), de la Métamorphose (1624-1630), de l’Empire de la Raison (1631-1635), enfin d’une Histoire inachevée (1636-1642) que Louis XIV écrira, pour la France, en lettres solaires.

Au-delà d’une plume alerte, moderne, jamais en peine d’une tournure osée qui rejoint ainsi, comme par imprégnation, le style baroque, plus saint-simonien qu’académique, des débuts du XVIIe siècle, la biographie de F. Hildesheimer met les accents où il faut, les coups de projecteur inattendus sur ce qui lui paraît essentiel pour «entendre» son personnage comme son époque, ce «théâtre baroque» sur la scène duquel cet artiste de la raison politique s’est avancé pas à pas. Les curieux, les étudiants auxquels, par-delà le public, semble s’adresser si souvent F. Hildesheimer, qui est en outre un grand professeur, en apprendront beaucoup, y compris dans les riches annexes, sur les sujets les plus divers, de l’anecdotique le plus savoureux aux mécanismes si délicats d’un État à peine né. Car à travers Richelieu, c’est aussi à l’intelligence objective de l’Ancien Régime, français et européen, que nous introduit l’auteur.

Isabelle Brancourt
( Mis en ligne le 15/11/2004 )
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