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Histoire & Sciences socialeset Biographie  

Antonin le Pieux - Le siècle d'or de Rome. 138-161
de Bernard Rémy
Fayard 2005 /  25 €- 163.75  ffr. / 452 pages
ISBN : 2-213-62317-1
FORMAT : 14x22 cm

L'auteur du compte rendu : Christophe Badel, professeur d'histoire romaine à l'Université de Rennes II, est un spécialiste des structures politiques et sociales de la Rome impériale. Il a étudié le modèle social de la noblesse romaine dans La Noblesse de l'Empire romain. Les masques et la vertu (Champ Vallon, 2005). Il a aussi dirigé un recueil de documents, Sources d'histoire romaine, Ier siècle av. J.-C.-début du Ve siècle apr. J.-C, (Larousse, 1993), et rédigé plusieurs ouvrages liés au programme de l'agrégation et du CAPES (dont L'Empire romain au IIIe siècle après J.-C., Textes et documents, SEDES, 1998).

Antonin, conservateur?

L'empereur Antonin (138-161) a laissé son nom à la dynastie la plus prestigieuse de l'Empire romain (96-192) et son règne apparaît comme l'âge d'or de la paix romaine mais, paradoxalement, ce souverain est le plus mal connu - et le plus méconnu - du IIe siècle.

Professeur d'histoire romaine à l'Université de Grenoble, B. Rémy a entrepris de lui rendre justice dans la première biographie française de cet empereur depuis un siècle. Spécialiste des gouverneurs sénatoriaux de l'Anatolie, l'auteur est d'abord un épigraphiste (étude des inscriptions) et un prosopographe (étude sérielle des biographies) - son ouvrage s'en ressent - mais a déjà rédigé une biographie impériale, Dioclétien et la Tétrarchi (Que sais-je ?, PUF, 1998). Son projet est d'autant plus méritoire que les sources antiques sont moins nombreuses que pour les autres Antonins, cause essentielle de la rareté des livres sur le personnage.

Après avoir dressé un tableau de l'Empire au début du IIe siècle, B. Rémy relate les étapes de l'ascension d'Antonin (chapitres II et III). Issu d'une famille noble et patricienne, ce sénateur n'avait pas exercé beaucoup de fonctions administratives, à l'exception du très honorifique proconsulat d'Asie, ce qui était la norme pour les patriciens à l'époque. Mais il appartenait à un réseau familial proche de la famille impériale et son épouse, Faustine, était la nièce de Sabine, femme de l'empereur Hadrien. Lorsqu'Hadrien, peu avant de mourir, le désigna comme successeur et l'adopta, à quelles motivations obéissait-il ? Officiellement, le "choix du meilleur", en dehors de toute considération héréditaire, présidait au système successoral des Antonins et B. Rémy ne manque pas d'insister sur la modération et l'intégrité de l'élu. Mais il montre bien aussi que le "choix du meilleur" camouflait une logique dynastique large, consistant à choisir le successeur parmi un réseau de parents par le sang ou l'alliance, en l'absence d'héritier mâle.

La tradition historiographique a gardé l'image d'un souverain terne et conservateur, très favorable au Sénat et fidèle à l'héritage de ses prédécesseurs. Le principal intérêt de l'ouvrage est de remettre en cause cette vision, aussi bien dans l'analyse du régime (chap. IV-V) que de l'action administrative et militaire (chap. VI-IX) ou de la politique religieuse (chap. X). Respectueux du Sénat, Antonin n'en a pas moins renforcé le caractère monarchique du régime et l'auteur interprète ainsi le fait d'introduire dans sa titulature l'intégralité de ses noms d'homme privé, Titus Aelius Antoninus (pp.123-124). Loin d'être un empereur pacifique, comme l'avait été Hadrien, il n'a cessé de combattre, certes pour repousser des attaques ou écraser des révoltes mais aussi pour étendre le territoire de l'Empire. Son action aboutit à une progression romaine au Sud de l'Écosse et dans la zone rhéno-danubienne, concrétisée par la construction d'un limes, c'est-à-dire d'une ligne de défense. Enfin, sur le plan religieux, il n'hésita pas à réorganiser le culte d'une déesse orientale, Cybèle, et à donner à son culte (spécialement au sacrifice du taureau, le taurobole) un rôle central dans la religion publique.

Toutes les thèses de l'auteur ne sont pas également convaincantes. Il n'est pas évident que le simple rajout du prénom dans la titulature ait eu la signification monarchique qu'il lui prête. Il est par ailleurs dommage que cette vision originale soit affaiblie par certaines erreurs surprenantes pour un chercheur de ce niveau : on ne peut placer les notables locaux parmi la plèbe (p.58) ou assurer que les bénéficiaires des distribution de blé à Rome étaient 150 000 (p.206 ; ils étaient en fait 200 000). Elle est surtout brouillée par le discours même de B. Rémy, qui prend trop souvent l'aspect d'un catalogue, péché mignon des épigraphistes et des prosopographes. Ce défaut est spécialement frappant dans le tableau initial de l'Empire (chap. I) ou les chapitres sur l'activité juridique et administrative (chap. VI-VII). Il ôte tout mouvement dynamique à la biographie et procure l'impression d'un conservatisme que l'auteur précisément rejette. On ne comprend pas pourquoi son règne fut un âge d'or ni la part que le souverain prit à cette réussite. Du coup, l'homme et le règne restent en grande partie des énigmes.

Christophe Badel
( Mis en ligne le 23/05/2005 )
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